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    Monsieur Jean-Marc JOUFFE 5, rue de Palanka
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    Journée annuelle des psychologues de l’Isère vendredi 21 novembre 2014

    La crise: une désorganisation féconde?

    La crise du savoir.

    Préambule

    La crise du savoir crise du pouvoir la théorie la pratique.

    Nous sommes dans une période de mutations, de transformations majeures qui bouleversent tous les repères: intellectuels, technologiques, sociaux et moraux. Les constats de la crise sont nombreux: montée de l’individualisme, effritement des solidarités collectives, panne de sens, arbitraire des relations professionnelles, manque de respect et de reconnaissance, accroissement des inégalités, conformisme de la nouvelle génération, effondrement des valeurs traditionnelles, perte des repères, disparition du métier, délitement de la responsabilité, affaiblissement de l’autorité, recherche effrénée de la concurrence, prégnance de la rentabilité et du productivisme, etc ... la liste pourrait s’allonger mais je pense qu’il est important, pour “retrouver du sens“1, de déconstruire, d’épurer et clarifier les concepts. C’est pourquoi, comme Foucault, je différencierai ici savoir et pouvoir pour

    1 Dans le champ psy, on a joué depuis près d’un siècle de l’opposition de l’explication et de la compréhension. Mais,en définitive il semble que la compréhension soit la recherche du « sens ». Lorsque l’on demande sur google « compréhension/ explication », la première référence trouvée résume la manière classique de penser cette opposition : « On associe aussi l'explication à la recherche des causes et la compréhension à la recherche des raisons , des motifs et du sens. [...] La compréhension serait une démarche, d'ordre intuitif et synthétique, visant la recherche du sens global des phénomènes, qui serait à l'oeuvre dans les sciences humaines, par opposition à l'explication à l'oeuvre dans les sciences de la nature ».

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    La crise du savoir ? journée des psychologues !1

    traiter d’épistémologie2 et non de “sciences
    politiques“
    3.
    Il y a différents savoirs mais
    le savoir
    appliqué
    (qui traite de la pratique) s’acquiert
    soit au travers de l'expérience et du savoir-
    faire, soit grâce à des connaissances théoriques. Bien sûr, le savoir sur la matière n’est pas du même ordre que le savoir sur l’homme
    4 mais c’est de la question du savoir globalement pour l’homme et de sa crise supposée que je voudrais traiter ici.

    J’ai choisi de parler de la crise du savoir, d’abord parce qu’on a tendance à dire que les sciences humaines naissent de nos jours et qu’avant (la renaissance) on n’avait pas fait de sciences humaines. Ce sera l’objet de ma première partie que j’ai intitulée : La renaissance et l’humanisme. Si j’ai choisi ce thème avec cet excursus dans l’histoire, c’est pour mieux situer le point de vue de mon deuxième point que j’ai intitulé: La rupture épistémologique, c’est-à-dire une interruption d’une certaine connaissance scientifique, un changement profond du savoir. J’essaierai de montrer pourquoi et comment la crise du savoir peut être terriblement féconde.

    D’abord en faisant un rappel historique à grandes enjambées, je voudrais rappeler que l’on pratiquait aussi les sciences humaines dans l’Antiquité (grecque surtout pour nous). Les sciences humaines

    2 l’epistèmé est l’ensemble des connaissances scientifique, du savoir d’une époque.

    3Le titre d’un article d’une revue scientifique sérieuse illustre bien la confusion toujours opérée entre savoir et pouvoir: « Savoir, c’est pouvoir, or le pouvoir est dangereux! », mais le savoir l’est aussi. Le parallèle établi entre savoir et pouvoir est un lieu commun reconnu comme tel depuis Bacon. Depuis Bacon parce qu’il est reconnu comme un des initiateur de la philosophia naturaliste, c’est à dire les sciences naturelles. Or les sciences culturelles ou sciences humaines utilisent aussi un savoir qui n’est pas un savoir sur la nature. Il y a un contrôle qui a toujours été exercé sur ceux qui détiennent le savoir surtout depuis le moyen-âge, parce qu’on pense qu’un certain savoir disponible représente peut-être une source de pouvoir plus importante que le savoir lui-même. Le savoir théorique, le savoir appliqué et la connaissance de l'être humain constituent trois formes de savoir différentes mais il s’agit toujours de savoir. Evidemment ces types de savoir impliquent sans doute aujourd’hui un type de pouvoir particulier que l’on trouve dans les métiers politiques, éducatifs, thérapeutiques et judiciaires.

    4La majorité des gens croient que la connaissance de l'être humain est celle qui au bout du compte octroie le plus grand pouvoir car, à un niveau élémentaire, disposer d'informations sur les autres nous donne sur eux un certain pouvoir (pour les enfants et certains adultes, connaître un secret sur un camarade ou sur un maître confère à la fois prestige et pouvoir). Comprendre comment les autres fonctionnent mentalement, comment ils sont susceptibles de réagir à des mots ou à des actes dote d'un immense pouvoir, qu'il s'agisse de les manœuvrer en douceur ou simplement de les manipuler. De manière générale et à quelque niveau que ce soit, les connaissances théoriques et appliquées doivent s'appuyer sur la connaissance de l'être humain pour passer dans les faits. Mais à ce moment-là c’est de pouvoir dont il est question.

    Savoir Pouvoir
    Pourquoi parler de la crise du savoir?
    parce qu’on croit que sc. humaines naissent au XIXè ou XXè.
    pour situer la rupture épistémologique.

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    2 parties:
    La renaissance et l’Humanisme La rupture épistémologique

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    La crise du savoir ? journée des psychologues !2

    se sont développées chez Aristote (la rhétorique) et Platon (la dialectique) à travers une théorie de la raison langagière et le verbe (le logos) essentiellement. Cette tradition grammaticale s’est poursuivie jusqu’à la renaissance parce que l’homme se différenciait de l’animal par la raison. Le rationnel, équivalent au logos, était assimilé au langage et au verbe. C’est de cette question de l’identité de la raison et du verbe que je voudrais traiter ici à propos du savoir et de sa crise supposée.

    1 - La renaissance et l’humanisme

    A la Renaissance on a rompu avec une certaine tradition du savoir qui séparait déjà plus ou moins les arts5 (libéraux) des
    sciences. Car au Moyen Age, le savoir
    consistait d’une part dans le trivium:

    (pouvoir de la langue) comprenant, la
    grammaire, la rhétorique et la dialectique;
    et d’autrepart dans le quadrivium (pouvoir
    des nombres) c’est à dire : arithmétique, musique, astronomie et la géométrie. L’ensemble de ce savoir était investi par une pensée à fondement philosophico- religieux, mais la philosophie de l’époque était une philosophie
    supranaturalis. Ainsi à la Renaissance, la rupture du savoir a consisté, par BACON interposé entre autres, à rompre avec la philosophie supranaturalis pour développer une formation sur un savoir naturel qu’il a appelé philosophia naturalis.

    Ce nouveau savoir, issu de la Renaissance, posait un savoir sur la nature par rupture avec une théologie de la révélation qui pesait sur ce savoir. Mais, ce qu’il est important de noter, c’est que ce savoir, portant uniquement sur la nature, laissait l’homme en dehors de la révolution épistémologique du savoir; C’est cette forme de rupture du savoir qu’on a appelé l’HUMANISME.

    La crise du savoir vécue à cette époque est à l’origine de ce qu’on appelle généralement les sciences; mais on n’a pas touché aux arts libéraux, c’est à dire aux lettres (les sciences humaines de l’époque) parce que c’était humain. L’HUMANISME, c’est cet écart entre les sciences et les lettres, dans une perspective du savoir qui venait se fonder dans la capacité de naturaliser son objet. Déjà, à l’époque, les querelles portaient sur le droit que l’on pouvait avoir, ou pas, de

    5 Les sept arts libéraux désignent toute la matière de l'enseignement des écoles de l’Antiquité et du Moyen-Âge.

    Renaissance: rupture d’1 tradition du savoir influencé par philosophie religieuse. BACON: savoir sur la nature
    hô en dehors de la révolution épistémologique = Humanisme

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    La crise du savoir ? journée des psychologues !3

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    comprendre le fonctionnement humain en naturalisant l’objet. C’était toute la question du mouvement médico-chirurgicale ou plutôt médico-anatomique, illustré par le tableau de la “leçon d’anatomie du Dr TULP “ de Rembrandt.

    Ambroise PARE, en France, a essayé d’utiliser une approche naturelle de l’homme qui lui a valu tous ses démêlés avec l’Eglise car elle interdisait qu’on touche au corps de l’homme.
    Heureusement que les choses ont pu évoluer et c’est grâce à cette approche scientifique de l’homme que la médecine a fait tous les progrès que l’on connaît. Mais ces progrès se sont faits à la condition que l’on ne touche pas à l’âme! La psyché, devait échapper à toute perspective véritablement scientifique.

    Ainsi, la RENAISSANCE, n’a pas vraiment fondé la science mais elle a permis de séparer dans l’objet de la science, tout ce qu’on appelle la NATURE. La CULTURE en était systématiquement exclue par la tradition philosophique, sinon théologique de l’humanisme.

    L’humanisme n’est pas vraiment une anti-science, mais couvre le champ que la science n’atteignait pas, c’est à dire l’humain et la culture.
    Cette forme de savoir humaniste, s’est perpétrée jusqu’au XIXème siècle et se transmettait par les lettres (les humanités) et l’analyse grammaticale. C’est ainsi que le savoir sur l’homme est resté quasi intact depuis les Grecs.

    Après les “Lumières“, l’homme est apparu comme ressortissant, non pas à la nature et à son déterminisme, mais ressortissant à
    un type de connaissance qu’on pouvait tout
    de même rendre plus précis: on a dit que

    l’homme résultait (était la conséquence) de L’HISTOIRE.
    Ce passage depuis la renaissance jusqu'à nos jours a été un long processus à travers la mathématique (Descartes et Pascal), la

    au XIXè: savoir sur l’hô = à savoir Antique et pour rendre plus rationnel le savoir sur l’l’hô, mise en évidence que l’hô résulte de l’Histoire.

    COMTE: “pas de discontinuité entre nature et culture “. Invention de la sociologie et du POSITIVISME.

    La crise du savoir ? journée des psychologues !4

    physique et la chimie (Lavoisier) et notamment Auguste COMTE au XIXè siècle. Selon lui, il n’y a pas de discontinuité entre la nature et la culture. Il a ainsi voulu inscrire les sciences de l’homme dans la perspective scientifique en devenant l’inventeur de la sociologie qu’il avait d’abord appelée la physique sociale. Avec lui, c’est tout le courant du positivisme dont notre enseignement actuel reste terriblement imprégné, cognitivisme y compris. Dans ce courant scientiste, c’est cette vieille nostalgie de la science qui s’exprime avec la sociologie et la psychologie après que ces disciplines se soient séparées de la philosophie. Les sciences humaines actuelles se retrouvent prises entre les deux courants: d’un côté la science sur le modèle physicalisme et de l’autre l’histoire qui était l’enseignement proprement humain.

    Pour comprendre la crise actuelle, la question
    qui se pose maintenant est la suivante: où est
    la scientificité de l’histoire? pour qu’il y ait
    scientificité, il faut un objet défini. Or, on croit
    savoir que cet objet, c’est l’individu. Ce faisant,
    on universalise l’objet qui peut être “l’Enfant“, “La Femme“ ou “L’Homme“. Ces universaux issus d’une certaine conception de l’histoire imprègnent plus ou moins consciemment toutes les sciences humaines.

    Ces universaux donnent l’impression de faire
    partie d’une histoire universelle dont nous
    sommes, évidemment, les meilleurs éléments!
    Cette idée-là est à la base d’un néo-
    impérialisme qui considère que l’occident est le
    parangon de l’humanité, les autres faisant ce
    qu’il peuvent pour nous rattraper! Même si ça
    ne se dit pas comme ça, évidemment. Pourtant
    c’est cette conception de l’histoire qui est à l’origine de nos sciences humaines qui prétendent étendre à l’univers entier, la manière européenne de penser et d’agir. C’est cet universalisme-là qui est à la base de ce que nous appelons l’histoire.

    Si rien de la question humaine n’a échappé à l’histoire, c’est précisément parce qu’il s’agissait (comme je viens de la montrer) depuis les Grecs de logos et de langage. Cette approche du langage humaniste s’est modernisée avec la linguistique

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    crise actuelle du savoir: où est la

    scientificité de l’histoire? trouver un objet défini: l’individu? l’enfant?, la femme? le couple?

    Faute d’objet définit, on universalise!: tous les humains parlent = la linguistique historique et philologie.

    Réaction de MARX: l’histoire n’est pas un

    déterminisme

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    La crise du savoir ? journée des psychologues !5

    savoir actuel sur l’hô:

    science avec modèle homme
    l’histoire comme explication de

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    historique et comparative au XIXè siècle: Elle
    trouve une explication du langage par ses
    étapes antérieures et par des preuves écrites
    de la philologie (étude du langage à partir des documents écrits). Cette conception évolutionniste de l’histoire, existe, avec le même schéma, en psychologie, en sociologie et dans toutes les sciences humaines. L’abord de l’homme ne devenait scientifique que s’il passait par une conception précise d’une l’histoire chronologique.

    D’où le questionnement de MARX qui recherchait un sens de l’histoire différent, une histoire qui ne serait plus faite par les historiens mais par l’homme lui-même dans un réalisme de l’histoire qu’il a appelé “matérialisme historique“ (je reparlerai de la découverte de MARX plus loin).

    Voilà ce que je voulais dire en résumer, de cet humanisme dans lequel nous baignons encore et qui privilégie l’histoire
    empreinte d’universalisme
    6. Ce savoir sur
    l’homme, assimilé au savoir sur le logos et le

    langage qui a cru devenir scientifique en
    s’historicisant chronologiquement, est
    actuellement en crise!
    Je crois que si nous voulons faire des sciences humaines, il ne faut plus être l’esclave de tous ces vieux clichés qui, soit ont maintenu l’homme à part des objets dit naturels, soit ont voulu le naturaliser. Actuellement, sous prétexte de science, on a tendance à tout naturaliser quitte à trahir ce qu’il y a d’humain en nous (cf: « la fin d’un monde »)
    7.

    Pour faire des sciences humaines, il faut pouvoir respecter la spécificité humaine, c’est-à-dire un seuil différentiel. L’homme n’est pas un animal mais malheureusement, il le reste! Pour sortir de cette crise du savoir, il faudra montrer comment l’animalité humaine nous permet des choses auxquelles aucun chimpanzé n’a accès.

    6 Les universaux furent l'enjeu d'une querelle entre logiciens. Demeurée célèbre, elle se déroula du XIIe siècle au XIVe siècle. Les écoles s'opposaient sur la question de savoir si les universaux sont de pures conceptions de l’esprit, c'est-à-dire de simples concepts, ou s'ils ont une réalité, que ce soit au sein des choses comme telles ou bien en tant qu’idées au sens platonicien. C’est, en fait, la querelle entre Platon et Aristote.

    7 “La fin d’un monde - Essai sur la déraison naturaliste“, J. Y. DARTIGUENAVE et J. F. GARNIER. PUR, 2014
    La crise du savoir ? journée des psychologues !6

    respecter la spécificité humaine: l’animalité humaine n’est pas accessible aux animaux.

    Le savoir sur l’l’homme est:

    homme est à part des objet dit “naturels“

    esclave d’un naturalisme (“la fin d’un

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    2 - La rupture épistémologique
    Si j’ai fait ce rapide rappel historique, c’est pour faire un parallèle entre l’époque de la Renaissance et maintenant. D’une certaine manière nous vivons actuellement l’équivalent de la Renaissance. Rétrospectivement à travers la littérature de l’époque, on juge que c’était une grande époque; mais si on lit vraiment ces auteurs tels que Rabelais, Montaigne, Erasme, Thomas Moore, ... On s’aperçoit surtout que c’était un “grand bordel“ et que ceux qui ont vécu cette époque l’on vécue comme une catastrophe et un
    bouleversement insensé! Leurs
    écrits étaient surtout une plainte
    de valeurs et de repères qui se
    détruisaient et qui ne se
    construisait pas (uniquement destructif).
    Aujourd’hui, nous en sommes là, à pleurer sur la crise et sur ce qui “fout le camp“! Il ne s’agit pas de dire que “tout va bien“, mais d’apercevoir que le monde mute et de considérer “la désorganisation féconde“. S’il y a mutation, ce qui était problème risque de cesser de l’être. En attendant, “ça souffre“ et c’est ce qui motive les “quêtes de sens“ en psychologie clinique notamment, mais pas seulement car c’est tout le Politique qui est touché.
    Cependant, concernant le savoir, pas spécialement le savoir clinique qui est un savoir appliqué pour chercher à soulager les souffrances, mais le savoir sur l’homme en général, il n’y a pas eu de réel progrès depuis les Grecs parce que l’humanisme a cantonné ce qu’il y avait d’humain en nous à la
    seule verbalité et au logos. Si les sciences
    humaines se développent, il faudra montrer
    que l’humain n’est pas simplement du langage,
    c’est-à-dire une représentation naturelle même sophistiquée. Il faut donner à la raison, au rationnel, à la rationalité une idée infiniment plus complexe, en osant faire de l’homme un objet (l’objet n’est pas une chose!). Il ne s’agit pas encore une fois, de faire comme les neuro-sciences ou les sciences cognitive, une resucée de la science appliquée aux objets de la nature et non plus de faire de l’humanisme désuet.

    crise actuelle équivalente à la crise de la Renaissance: une désorganisation féconde!

    savoir sur l’homme = savoir sur le logos comme dans l’antiquité à cause de l’humanisme

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    La crise du savoir ? journée des psychologues !7

    faire des sciences humaines = ne pas réduire l’homme au logos et au langage.

    Faire de l’homme un objet.

    Les tentatives qui ont été faites jusqu’à présent, notamment depuis le XIXè siècle, se sont heurtées à diverses autorités et évidemment aussi à des autorité de type cléricales. Car souvent la théologie sous-jacente à un certain type d’humanisme a empêché qu’on pût faire de l’homme une approche jugée trop matérialiste.

    Nous sommes au confluent de deux civilisations, une qui meurt et une qui naît. Il vaut mieux aider celle qui vient, il vaut mieux être le premier des sauvé que le dernier des Mohicans!
    Faire des sciences humaines est beaucoup plus qu’une discipline à ajouter aux autres sciences même si c’est encore une sorte d’utopie (au sens de Thomas Moore!). On doit se rendre compte que les

    sciences humaines ne doivent pas aller
    chercher leur modèle dans les sciences de la
    nature comme l’aurait voulu Auguste Comte.
    Car c’est dans les sciences humaines que les
    sciences de la nature trouveront le principe
    même de la causalité qui les fait scientifiques.
    Autrement dit, il faut considérer les sciences de la nature actuelles comme une forme de l’anthropomorphisme (comme on le reprochait paradoxalement à Héraclite
    8).

    Prenons un exemple pour illustrer cet anthropomorphisme:
    Il semble entendu par tous, que les sciences de la nature supposent que l’on soit capable de compter car la science commence avec le calcul. C’est ce qu’ont fait les grecs qui cherchaient un principe d’unité avec
    la géométrie et l’arpentage pour leur permettre
    de savoir combien ils avaient d’ares dans
    leurs champs. C’est comme ça qu’on a trouvé
    comment calculer et on a étendu ce
    raisonnement à la totalité de la nature. C’est
    ainsi qu’on a cherché des unité naturelles. La
    Grèce a ainsi cherché à ramener toute la nature
    à l’atome (
    atomos, traduit en latin par individus: “qui ne se divise pas“). En cherchant

    8 Héraclite était surnommé « Héraclite l'Obscur », car on jugeait la compréhension de sa pensée difficile en raison d'une écriture poétique.

    Les sciences humaines ne doivent pas chercher leur modèle dans les sciences de la nature comme COMTE.

    C’est dans les sciences humaines que les sciences de la nature trouverons le principe de la causalité.

    L’anthropomorphisme: recherche du principe d’unité dans l’atomos. Or, ce principe n’hésite pas dans la nature, c’est un principe humain.

    Einstein à montré que c’était de l’anthropomorphisme avec la théorie de la relativité.

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    La crise du savoir ? journée des psychologues !8

    l’indivisible, ils cherchaient un principe d’unité. Or, dans la nature il n’y a pas d’unité en dehors de celle que l’on projette. On n’arrive pas à expliquer la nature autrement qu’en cherchant l’atome mais c’est un problème parce qu’on a réussi à faire la fission et les particules, si bien qu’on ne trouve plus vraiment d’unité de base pour calculer. C’est là qu’Einstein a trouvé son principe de la relativité et montré que l’on avait de l’univers une conception parfaitement anthropomorphique.

    Cela signifie que le principe d’unité est un
    principe humain. De ce fait on peut se
    demander si c’est la nature que l’on comprend
    ou bien l’idée que l’on s’en fait pour pouvoir
    l’expliquer. C’est à partir de ce principe d’unité
    que l’on classe les sciences en disant qu’elles sont plus ou moins exactes. Et d’autrepart que l’on se donne une illusion scientifique des explications politiques par la statistique.

    De l’autre côté, ceux qui ne sont pas anthropomorphe (?), qui sont plutôt du côté de l’histoire, ils ont essayé d’historiciser le monde avec la théorie de l’évolution. Cette théorie cherche à comprendre le monde, à la seule condition de lui donner une histoire chronologique qui remonte jusqu’au

    “big bang“. Cette façon de faire n’est plus une
    fragmentation qui donne des unités comme
    avec la matière mais une segmentation qui fournit des étapes ou des stades (oral, anal et phallique) dans ce qu’on appelle une évolution (chronologique). Cette évolution est sans doute probable dans un empirisme du temps qui passe, mais elle n’explique rien car le monde ne nous est compréhensible que si on pose l’évolution comme telle
    9.
    Bref, le monde ne nous est compréhensible
    que si on le mathématise ou si on l’historise.
    Dans le monde qui vient, l’avenir des sciences
    humaines sera de trouver dans l’homme lui-
    même, le principe même d’explication qui fait
    qu’il n’est jamais content tant qu’il n’a pas
    démontré (fait sens).

    9 Edward E. Evans-Pritchard : « Ce n’est qu’en comprenant les autres cultures et les autres sociétés qu’on arrive à voir la sienne dans une juste perspective »

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    comprendre le monde: par la mathématique par l’histoire

    Le principe d’explication de l’homme se trouve dans l’homme lui-même

    page9image20816

    La crise du savoir ? journée des psychologues !9

    l’illusion de la réalité de BACHELARD (complexe de Prométhée) pourtant on classe le degré d’exactitude des sciences en fonction du principe d’unité.

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    Historiciser avec la théorie de l’évolution en créant des étapes (segmentation).

    Ainsi, la science ne nous livre pas la réalité positive d’une quelconque nature, elle nous remet simplement nez à nez avec nous-même. En un certain sens, nous ne pourrions rien savoir que nous ne sachions déjà parce que nous portons en nous l’idée que nous nous faisons de cette nature que nous prétendons expliquer.

    La crise du savoir actuel est à comprendre comme un bouleversement de la totalité du savoir. Voilà où réside la rupture épistémologique. Ce n’est pas seulement un ajout additionnel d’un savoir à d’autres car, si l’homme devient l’objet de science, ça bouleverse toute l’idée qu’on se fait de la science en elle-même.

    3 - Les initiateurs de la rupture

    Cette rupture épistémologique a été entamée, à mon sens, par trois personnages que je considère comme des maître dans cette entreprise de révolution du savoir sur l’homme: Marx (1818-1883), Freud (1856-1939) et Saussure (1857-1913). Ils ne sont pas là exactement dans un ordre chronologique mais dans l’ordre où je les ai découverts.

    Dans le contexte du XIXè siècle, où l’histoire régnait comme première science de l’homme, Marx cherchait avant tout à inaugurer les sciences humaines. Il considérait que l’histoire ne pouvait pas se résumer à la connaissance documentaire qu’on pouvait avoir du passé. Il a compris en ce sens que l’histoire ne dépendait pas tellement de l’historien, celui-ci ne fait que rendre compte du caractère historique de l’homme. Il en a donc conclut qu’il y avait un réalisme de l’histoire irréductible à la conception plus ou moins anecdotique que s’en faisait l’historien. Il a appelé cela le “matérialisme historique“.

    Indépendamment des idées philosophico-
    politiques qu’ont a pu tirer de cela, le génie
    de Marx a été d’avoir le culot de transformer
    l’homme en objet de science. Il en a sans doute tiré, trop hâtivement, la conclusion que, pour changer l’homme, il fallait changer l’histoire en faisant une histoire particulière qui suppose une résistance de l’homme à lui-même. Il s’est sans doute trompé mais ce qu’il a trouvé et appelé la
    praxis, était génial et n’avait rien à voir avec les idées politiques qu’on en a tirées: l’homme résiste à l’historien qui décrit son histoire car il porte en lui la capacité d’histoire. L’homme résiste à l’histoire qu’on fait de lui.

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    La crise du savoir ? journée des psychologues !10

    MARX: « le principe de l’histoire se trouve dans l’homme lui-même », le matérialisme historique.

    Concernant Freud, je ne vous apprendrai pas grand chose: il a découvert l’inconscient. Comme médecin à l’époque, il était aux prises avec un certain type de psychologie à visée plus ou moins
    expérimentale. Tout en restant médecin, il a

    pensé (sous l’influence de Charcot) qu’on ne
    pouvait plus se contenter de décrire l’homme
    de l’extérieur et qu’il fallait rendre compte de ce qui résiste en lui. L’analyse que l’on fait du patient ne peu pas être l’analyse immédiate. Il ne s’agit pas non plus de pratiquer l’intuition grâce à l’introspection. Il a compris que par l’inconscient, l’homme s’échappait à lui-même et que la psyché n’était pas transparente et que l’humain, contrairement à l’animal, avait un double-fond qui lui échappait. C’est là l’essentiel du génie de Freud d’avoir montré qu’il y avait des résistances de l’implicite (de l’inconscient) à nous-même qui cherchons à nous rendre explicite.
    Enfin, le génie de
    Ferdinand de Saussure a été de considérer que l’on ne pouvait plus se contenter de traiter du langage en termes purement descriptifs, en s’en tenant simplement au dit. En linguistique, il y a un avant et un après Ferdinand de Saussure. Au XIXe siècle, cette science était dominée par une approche historique et comparative. Etudier une langue, c'était rechercher son origine, son histoire, son évolution en la comparant avec d'autres langues pour en trouver les racines communes. C'est ainsi que les linguistes du XIXe siècle ont reconstruit la généalogie des langues indo-européennes. Après F. de Saussure, la langue prend un autre visage, apparaissant désormais comme une structure avec sa cohérence interne et non plus asservie à l’histoire.
    Si on retient de lui l’invention du
    structuralisme (bien qu’il n’ait jamais
    prononcé ce mot) c’est parce qu’il a conçu
    qu’il y avait une structure cohérente, sous-
    jacente à la manière de parler. Il a montré
    que c’était cette structure qui interdisait que le
    langage soit réduit à la description qu’on en pouvait faire. Il a alors fait la différence entre la phonétique et la phonologie, montrant qu’un système sous-jacent ne retenait que la différence de sons et non la réalité matérielle de l’intensité du son - par la

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    Ferdinand de SAUSSURE: « Le langage n’est pas seulement du
    “dit“ (descriptible articulatoire), il y a un système cohérent à la manière de parler ». La structure du SIGNE avec un signifiant et un signifié.

    La crise du savoir ? journée des psychologues !11

    FREUD: « on ne peut pas découvrir l’homme en l’observant, il s’échappe à lui-même, il a un inconscient ».

    suite ont a nommé cela la taxinomie10. Ce qui a été génial c’est de démontrer que le système phonologique n’était pas réductible à la description de l’articulation phonétique. Il y a bien sûr les mécanismes du son, mais la phonologie est un système inhérent à la structure du signe. D’autrepart le langage, n’est pas qu’un système de l’organisation du son (le signifiant), c’est aussi un système d’organisation du sens (le signifié). Cela peut paraître simpliste maintenant, mais il fallait prouver qu’il y avait autre chose que le descriptible articulatoire. Grâce à cette découverte, on peut trouver en sémiologie comme en phonologie, la différence (la taxinomie) et la segmentation (la générativité) pour rendre compte de l’analyse du son et de l’analyse du sens (qui n’est pas plus noble que le son dans le langage).

    Conclusion

    Comme je pense l’avoir expliqué, dans l’histoire du savoir, il y a d’abord eu l’apparition des sciences de la nature (la physique, à partir de l’astronomie de Galilée) à la renaissance, et longtemps après au XIXè siècle, les sciences humaines commencent à apparaître (avec notamment le développement de la biologie moderne).

    Il semble qu’à chaque période de rupture épistémologique, il a fallu rompre avec un transcendant pour affirmer « l’immanence » de chacune de ces sciences (c’est-à- dire le fait qu’elles trouvaient en elles-mêmes leur explication et pas en dehors d’elles-mêmes, ce qui les subordonnerait à un transcendant ou à une science englobante). A l’époque galiléenne, Dieu est demeuré à sa place et n’est plus intervenu dans l’explication qu’on pouvait avoir des phénomènes physiques. Les S.H. sont apparues, de même, lorsqu’il a été possible de rompre avec tout transcendant et que l’explication de l’homme a été cherchée dans l’homme lui- même.

    10 définition de wikipédia: La taxinomie (ou taxonomie) est une discipline, branche de la biologie, qui a pour objet de décrire les organismes vivants et de les regrouper en entités appelées taxons afin de les identifier puis les nommer et enfin les classer et de les reconnaitre via des clés de détermination dichotomiques. Elle complète la systématique qui est la science qui organise le classement des taxons et leurs relations. Parmi ces méthodes, les plus récentes incluent une nouvelle approche conceptuelle de la classification mais aussi des méthodes d'analyse d’éléments empiriques restés longtemps ignorés de la science avant l'arrivée, au cours de la seconde moitié du xxsiècle, des découvertes de la biologie moléculaire. La taxinomie s'étend maintenant à d'autres sciences, entre autres les sciences humaines et sociales, les sciences de l’information ou l’informatique.

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    La crise du savoir ? journée des psychologues !12

     

    Grâce au génie de ces trois auteurs entre autres, il maintenant possible de dépasser la crise du savoir pour aborder véritablement les sciences humaines. Ils ont, chacun dans leur domaine, trouvé dans l’homme lui-même, ce qui le faisait l’objet de son propre savoir, c’est-à-dire la résistance à lui-même.

    Avant eux, l’homme se décrivait lui-même,
    comme il le fait pour les objets naturels, alors
    qu’après eux, il n’est plus possible d’être aussi
    simpliste, sans tomber pour autant dans un
    spiritualisme béat: il faut légiférer le législateur,
    faire l’histoire de l’historien, raisonner le
    raisonneur et désirer le désireur. Il ne suffit
    plus de ramener l’homme à l’idée qu’il se fait
    de lui-même dans une circularité d’auto-justification (se prendre par les cheveux pour s’empêcher de se noyer!). Il faut trouver des points de résistance à l’homme sans tomber dans le positivisme, ni le descriptif. Les sciences humaines supposent un point de vérification qui se trouve être inclus dans l’homme lui-même. Freud l’a bien compris dans son approche de la psychopathologie: il lui fallait étudier les dysfonctionnements pour postuler un fonctionnement et un modèle sous-jacent aux phénomènes de culture spécifiques de l’humain. Après avoir épuisé les bénéfices de l’anatomie, les médecins sont passés à l’analyse pour certains à la biologie pour les autres mais tous essaient de comprendre l’homme. Peut-être certains ont-ils trop privilégié le logos dans le langage en considérant que c’était la seule faculté spécifiquement humaine? d’autres ont privilégié l’atome et le principe d’unité dans l’individu.

    Comme Marx, Freud et De Saussure, l’on compris, les sciences humaines se développerons seulement lorsque l’homme dépassera l’idée simpliste qu’il se fait de lui-même (le positivisme).

    Le naturalisme ambiant est l’expression de la crise du savoir!

    La crise du savoir ? journée des psychologues !13 

  • Jean-Marc Jouffe 19 juin 2016

    L’AUTRE

    Quel autre? Entre altérité et aliénation

    Le mot “autre“, qu’il soit adjectif ou pronom défini, est terriblement ambigu. Car, jusqu’où c’est le même et à partir d’où c’est un autre? Par exemple, un mari, en conflit avec sa femme peut dire: « donnez m’en une autre! ». Que comprendre? il en veut une différente ou une de plus? Ou bien, une observation qui remarque : « elles ont toutes le même mari! » s’agit-il d’un mari semblable ou d’un seul mari pour toutes?

    En philosophie le concept d’ “autre“ est conçu d’une façon extrêmement naïve, comme préexistant à la relation instaurée avec lui. La psychanalyse, heureusement, considère l’ “autre“ comme résultant de la capacité de chacun à poser de l’altérité. Dans ce sens, chacun engendre l’“autre“, par une analyse implicite (inconsciente) de notre appartenance à l’espèce humaine.

    Par le décryptage de la notion « d’autre », je voudrais me livrer ici à une analyse critique rigoureuse de ce mot passe-partout, généralement utilisé sans discussion. Il ne s’agira pas seulement de précision de vocabulaire mais d’une élaboration conceptuelle qui restitue une profondeur dialectique à un mot utilisé quotidiennement “à plat“ et qui est la source des difficultés rencontrées dans l’analyse des phénomènes humains qui concerne les professionnels de la relation et du social.

    Il s’agira ici de comprendre que l’autre ne préexiste pas à la relation que chacun est capable d’instaurer avec celui-ci. Cet autre ne peut pas préexister à la capacité de poser de l’altérité. En ce sens, chacun « engendre l’autre », par une analyse implicite de son appartenance à l’espèce humaine, non plus comme soumission ou fatalisme au devenir vital, mais comme un rapport entre sujets ou entre congénères.

    Je chercherai à démontrer que l’humain possède (sauf pathologie) une double capacité (dialectique) d’émerger à l’autre et à l’autrui. En effet, de même que l’homme a la capacité de transformer son devenir vital en principe d’origination qui

    QUEL AUTRE?  1

    lui permet de donner abstraitement au devenir, la cohérence d’une histoire (qui n’est pas seulement un destin ou une genèse). De même, en accédant à la maturité personnelle, l’humain sort de la grégarité animale (du côte à côte) pour accéder à un principe - purement abstrait - qui est le principe d’altérité. Ces deux principes: d’altérité et d’origination, permettent de substituer aux rapports naturels de la vitalité, des relations culturelles d’existence et de convivialité (la sociabilité).

    Pour comprendre ce dédoublement de la notion « d’autre » et ce qui fonde les « rapports entre sujets » ou entre congénères, il faut différencier ce que l’on appelle sexualité et génitalité. Car “l’autre“ positif, tel qu’il nous apparait dans la réalité, est le résultat du réinvestissement de la capacité d’altérité dans le “réel du sujet“. Nous ne pouvons donc pas en rester là pour donner tout son sens à “l ‘autre“ car cette notion recouvre ce que les manuels de sciences naturelles appellent “la fonction de reproduction“. Cette fonction présente deux aspects complémentaires (sexualité et génitalité) qui sont liés, pour l’un, à notre constitution d’être sexué, pour l’autre au fait que, comme tous les animaux, nous mettons des petits au monde. Ainsi, ce qui est en cause dans la question de “l’autre“, c’est d’une part la sexualité (qu’il ne faut pas confondre avec le désir qu’elle peut éventuellement inspirer et souvent appelée éros ou libido) et, d’autre part, la génitalité1.

    SEXUALITE et GENITALITE

    Nous allons examiner successivement ces deux aspects de ce qu’est “l’autre“ et nous l’examinerons comme la dialectique de LA PERSONNE à laquelle tout humain peut accéder (sauf pathologie) dans la mise en oeuvre du principe d’altérité.

    1 La différence entre sexuel et génital que nous ferons ici, de même que entre la génitalité et la paternité, va bien au-delà de la distinction que Freud en a fait: il pose une continuité du génital par rapport au sexuel comme un achèvement du développement psycho-sexuel de l’enfant. Ici, il faut concevoir que l’enfant possède d’emblée une sexualité infantile, comme Freud l’affirme, mais aussi une génitalité infantile. Son accès à l’autre passe par là! Freud illustre la disjonction pathologique du sexuel et du génital par l’homme qui ne peut désirer celle qu’il aime (femme idéale), ni aimer celle qu’il désire (la prostituée). Nous y apportons une analyse différente par la dissociation de la sexualité et de la génitalité par rapport au désir: l’analyse de la sexualité est une analyse différente de l’analyse du désir, car si l’homme peut désirer de la sexualité, il peut au même titre désirer de la connaissance, de l’art ou du chocolat. La faculté de désirer (ou de ne pas y arriver) est la même mais ne porte pas sur le même objet.

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    QUEL AUTRE?  2

    L’acculturation2 dialectique3 de la sexualité humaine aboutit à instaurer entre congénères des frontières qui n’ont plus rien à voir avec les partitions naturelles. Il existe évidement une part animale qui sépare les mâles et les femelles mais ce qui fait l’humanité est de ne jamais identifier l’homme au mâle, ni la femme à la femelle. C’est exactement pour cette raison que si nous sommes capable d’accouplement, comme les animaux, comme humains nous accédons à ce que l’on appelle l’alliance4. C’est pourquoi une union ou un mariage, même non-formalisé, n’est jamais un accouplement. Dans une société plus hiérarchisée, il était important de se marier selon “son rang“5 pour ne pas faire de mésalliance. Ce concept de mésalliance exprime précisément la différence entre l’alliance et l’accouplement et témoigne de l’importance de créer avec l’autre considéré comme égal, de l’appariement.

    Cette recherche d’unions équilibrées, dans les sociétés traditionnelle, doit être considérée comme l’archétype de toute relation à l’autre créatrice de ce que K. Marx a nommé “la classe“6. Il faut donner à ce concept toute sa dimension de processus classificatoire du social (le lien). Ainsi, la classe résulte de l’acculturation de la sexualité humaine qui permet d’instaurer entre soi et l’autre, du contrat plus ou moins explicite (ou du lien réciproque de parité).

    Concernant, maintenant, la génitalité qui désigne le fait de mettre des petits au monde, son acculturation dialectique permet d’instaurer entre les êtres humains une relation, non plus de parité, mais de paternité7 réciproque. Si cette paternité est l’autre aspect de la définition culturelle de la personne, elle est dégagée des

    2 L’acculturation est la transformation par l’homme de son animalité, qui lui permet, sans sortir de cette animalité mais en l’analysant, d’accéder à la culture.

    3 La dialectique est 1)- un processus implicite qui consiste, pour l’homme, dans un premier temps à nier ce qu’il a en commun avec l’animal pour accéder à un principe formel abstrait, puis, dans un deuxième temps, à nier cette négativité pour réinvestir ce principe formel dans son animalité.

    2)- une opposition binaire dans laquelle aucun des deux termes ne peut être séparé de l’autre.

    4 Par le principe de l’inceste, l’alliance consiste à substituer une sexualité de culture à la sexualité naturelle - l’accouplement entre mère et fils ou père et fille est possible naturellement.

    5 la hiérarchie des sociétés traditionnelles s’est sophistiquée dans une abstraction relative des rapports d’espaces, de temps et de milieux.

    6 L’erreur de Marx est de n’avoir envisagé ce concept que dans le cadre économique de la société industrielle de son temps

    7 ce concept de “paternité symbolique“ repris à la psychanalyse trouve ici une portée sociologique que Freud n’avait pas pressentie. Il est ici synonyme de métier.

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    QUEL AUTRE?  3

    conditions biologiques de la génitalité et ne saurait être ni masculine, ni féminine: la paternité est épicène8. Ainsi, émerger à la culture, et donc à l’humain, n’a pas de sexe.

    Ce qui caractérise la paternité ainsi définie, c’est qu’elle n’est pas d’emblée culturelle, contrairement à la parité: elle est à conquérir au terme d’une “éducation“. Il convient avec ce terme, de le distinguer de “l’élevage“. Dans la mesure où le petit d’homme, comme le petit d’animal, ne naît pas tout fait, ses géniteurs le forme en “l’élevant“. Cependant, s’agissant du petit d’homme, il convient de l’éduquer. La différence entre l’animal et l’enfant tient au fait que l’élevage de l’animal n’a aucune incidence sur la transformation de ce qu’il est naturellement, alors que l’éducation a pour but de le tirer9 de sa condition naturelle pour qu’il émerge à la personne, c’est à dire à la paternité. Ce processus éducatif, clairement identifié par les ethnologues, requiert dans les sociétés humaine une délégation parentale10. cette délégation peut prendre différentes formes plus ou moins complexes selon les sociétés : depuis l’oncle maternel dans la Rome antique, jusqu’à la création d’un corps d’instructeurs appelés “pédagogues“.

    Le dégagement de toute génitalité dans ce que l’on appelle l’éducation ne vise pas à instaurer un contrat avec l’autre (l’éducateur et l’éduqué) car il n’est pas encore un “égal“, mais elle s’adresse à l’autre pour qui l’éducateur agit. Cet autre pour qui nous agissons en lui rendant service, définit la contribution sociale à laquelle chacun aspire dans ce que l’on nomme le métier.

    Cette relation à l’autre qui est mise en oeuvre dans la paternité ou dans le métier, le pose comme un autrui11 qui peut accéder à la société. Par la capacité d’analyser la génitalité, l’humain peut poser de l’autrui, là où il n’y a, du point de vue de l’animal, qu’asservissement univoque du petit au géniteur (ou domination univoque du géniteur sur le petit). De la procréation à laquelle la préservation de l’espèce nous condamne (nous assujettis), par la capacité culturelle (l’analyse implicite de la génitalité), l’homme fait du petit, un enfant et de l’élevage de l’éducation. L’humain passe ainsi de la génitalité à la paternité qui permet d’accéder

    8 La paternité n’est pas plus l’apanage du porteur du phallus que de celle qui est supposée en manquer.
    9 e-ducere: tirer
    10 cette pratique est appelée l’avunculat (avunculus: l’oncle) par les ethnologues.
    11 altrui en latin, est le datif ou le complément d’attribution du mot alter et se traduit donc par « pour l’autre »

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    QUEL AUTRE?  4

    au service rendu, base de toutes les distributions de rôles et des emplois dans une société humaine.

    C’est ainsi que l’on peut expliquer l’aptitude à rendre à la Cité un service ou un métier comme un mission ou une responsabilité sociale que l’on appelle le “devoir“. Ce concept est souvent ambigu parce qu’il est pris comme une notion morale, alors que c’est un concept purement sociologique. Cette il se peut que la morale s’en mêle mais pour mieux le comprendre, il faut rapprocher le concept de devoir de la notion de “dette“ qui est une manière de concevoir une obligation sans y être obligé. Si l’humain assume cette obligation, c’est uniquement parce qu’il n’est pas un animal et qu’il accède à la paternité pour échapper à l’aliénation fondamentale. Il ne s’agit pas d’envisager le devoir par rapport à celui à qui « ont doit quelque chose », c’est à dire comme un créancier car cela supposerait que le créancier ( ou autrui) précède l’obligation que l’on contracte à son égard. Comme l’autre ne préexiste pas à l’alliance parce que c’est l’alliance qui fait le partenaire, de même c’est la dette qui fait le créancier et non l’inverse. La paternité étant un devoir social comme une dette dont l’humain cherche en permanence à s’acquitter en se donnant à lui-même des créanciers. C’est exactement ce que fait la personne qui cherche à se rendre responsable d’avoir fait des enfants et d’exister ainsi pour autrui et avec les autres.

    CONCLUSION

    Cette conception de l’autre qui vient résumer ce qu’est la personne humaine à la fois: de soi en rapport avec l’autre (l’altérité) et de soi en relation avec autrui (l’aliénation) est une double définition de l’être (définition ontologique) et du devoir- être (définition déontologique). Être soi c’est accéder à l’autre et l’autrui par réinvestissement du principe d’altérité dans la réalité du sujet.

    A partir de l’animalité ou de la nature constitutive de l’homme, où il n’y a que l’accouplement, d’une part, et domination du géniteur sur le petit, d’autre part, l’humain devient, dans la société qu’il contribue à constituer, à la fois partenaire et acteur. Partenaire par l’acculturation de la sexualité qui substitue le lien ou l’alliance, à la complémentarité naturelle des sexes. La complémentarité naturelle subsiste

    QUEL AUTRE?  5

     

    mais c’est en la niant relativement que nous établissons non-plus des complémentarités mais des parité.

    L’humain devient acteur puisque, de la procréation il fait de la paternité et de l’élevage, il fait de l’éducation, archétype de toute relation sociale à autrui (le métier). Avec cette manière de comprendre l’autre, nous pouvons être à la source de

    tous les systèmes sociopolitiques en tant qu’ils sont, d’une part de l’appartenance contractuellement partagée (c’est l’identité), et, d’autre part, du service contractuellement consenti (c’est la responsabilité).

    QUEL AUTRE?  


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  • L’ADOLESCENCE 

     

    AUX MARGES DU SOCIAL

     

     

     

     

     

     Introduction

     

    Le parent constate, étonné, que la porte de la chambre est à présent fermée. Un morceau de papier s’y trouve punaisé, demandant que dorénavant on frappe avant d’entrer. Un étranger se serait donc installé dans la maison ? En fait, un adolescent est né et le cercle de la famille ne s’est pas agrandi : il signe en même temps l’acte de décès de l’enfant auquel le parent croyait avoir toujours affaire. Lorsque l’adolescent paraît, le parent, loin d’applaudir, s’inquiète et se demande, aujourd’hui bien plus qu’auparavant, comment il va pouvoir à présent faire face à son éducation. La société, elle aussi, s’inquiète, qui voit naître là un éventuel fauteur de troubles. Les médias évoquent ainsi fréquemment, surtout depuis quelque temps, les débordements inquiétants de la jeunesse et les incivilités dont elle se rend trop facilement responsable aux yeux de nos contemporains. Les professionnels de l'éducation s'interrogent tout autant à propos de l'adolescent et des transformations que cette période de la vie connaît aujourd’hui. Les ouvrages ne manquent pas sur cette question de l'adolescence ; ils sont même de plus en plus nombreux. Ils traitent surtout des difficultés qui seraient propres à l’adolescent, mais également, dans une visée pratique de prise en charge, des problèmes particuliers qu'il soulève dans notre société. Peu de travaux s'intéressent toutefois au statut de l'adolescent et à ce qu’il recouvre. Au demeurant, ce statut se trouve souvent occulté puisqu'il n'est question, dans le langage courant, comme dans la terminologie officielle, notamment juridique, que d' « enfant », de la naissance jusqu’au moins l’âge de 18 ans. Ce paradoxe doit être souligné d’emblée : comment une société peut-elle en même temps s’intéresser à ce point à une telle réalité et l’ignorer, dans le traitement qu’elle en fait, jusqu’à la résorber dans une dénomination plus large qui efface toute trace de sa spécificité ?

    La question du statut de l’adolescence est pourtant particulièrement intéressante à travailler. Elle oblige à revenir sur les processus qui règlent le fonctionnement particulier de l’adolescent. Ces processus ont commencé à être étudiés par ceux qui ont été les pionniers dans ce champ de recherche. Ils ont été travaillés par la suite par quelques grands psychologues de l’enfant du XXe siècle, mais ils paraissent aujourd'hui ne plus faire l’objet de travaux approfondis. Seuls les cliniciens apportent encore sur la question quelques éclairages. Le présent travail se donne précisément pour but de revenir sur ces processus et de les mettre à jour. Une telle démarche doit permettre de mieux comprendre les problèmes particuliers que cette période de la vie pose, tout à la fois à celui qui les vit et à ceux qui l'entourent. Ce n'est en effet qu'à la condition de faire clairement ressortir les processus qui agissent en l'adolescent qu'il sera possible de prendre du recul par rapport aux problèmes qu'il pose actuellement à notre société et d’intervenir auprès de lui. On s’accorde ainsi souvent pour affirmer que l'adolescence soulève d'abord le problème de la sortie de l'enfance. Mais qu’est-ce que cela vient véritablement recouvrir ? La réflexion qu’on va lire s'inscrit dans la suite d'un autre travail sur l'enfant et sur son statut, travail mené dans le cadre de la même collection. Ce premier écrit touchait déjà à la question de l'adolescence, puisqu'il supposait, dans la délimitation même de son objet, que ces deux réalités soient le plus clairement possible distinguées. Il proposait donc un très rapide résumé de la problématique adolescente et des processus qu’elle suppose. Il s'agit à présent de creuser ces processus et d’offrir une réflexion de fond sur le statut qui est celui de l’adolescent dans notre société. Le questionnement se veut donc, tout comme cela a été antérieurement le cas pour l’enfant, anthropologique, au sens où il vise à révéler des processus généraux qui déterminent de manière implicite les enjeux spécifiques de cette période de la vie, au-delà de la forme particulière de prise en charge qu’une société va en effectuer à un moment donné de l'histoire.

     

    1. I) l'adolescence, une réalité sociale

     

    1 – L’adolescence n’existe pas 

    Au tout début des années 90 paraissait un ouvrage dont le titre, volontairement provocateur, devait nécessairement retenir l’attention de tous ceux qui s'intéressaient à l'adolescence. Sous-titré « Histoire des tribulations d’un artifice », il affirmait en effet que « L'adolescence n'existe pas ». En fait, cette question n'avait pas été réellement travaillée du point de vue de l'histoire, comme cela avait été le cas, depuis 1960, pour l’enfant avec Philippe Ariès et ceux qui se sont inscrits dans sa suite. La relativité historique de la représentation de l'enfance avait pénétré les esprits, même s'il demeurait difficile, voire impossible, à la psychologie génétique, c'est-à-dire à la discipline qui s'arrogeait jusque-là le monopole de la réflexion scientifique sur l'enfant, de tirer les conséquences d'une telle approche de l'enfance. Il découlait en effet de ces travaux historiques que, contrairement à ce que présupposait l’approche génétique, l'Enfant, avec un grand E, n'existait pas, que l’on avait affaire uniquement à DES enfants, différents selon les époques, et que le chercheur, comme l’éducateur, ne se trouvait confronté qu'à une forme sociale de l’enfance parmi d'autres. La psychologie génétique avait en fin de compte installé l’enfant occidental dans la position d’un universel. Un bref retour en arrière, sur quelques décennies, suffisait pour conclure que l'adolescence était, comme l'enfance, une notion relative dans la mesure où elle prenait des formes sociales très différentes. Plus encore, il apparaissait que l'adolescence était une réalité qui n'avait pas toujours existé, et donc que, de ce point de vue, elle ne pouvait renvoyer, contrairement à l'enfance, à un principe général. De l'enfance, il en est en effet dans toute société : à toute époque et dans toutes les communautés, il est fait état d'une période de la vie dans laquelle celui qui en relève ne peut être considéré comme faisant partie, par sa seule existence, du social. S’il en participe, c’est nécessairement à travers ceux qui l’éduquent et qui l’insèrent à partir d’eux dans la société en question. De l'adolescence, en revanche, il n'en existe pas dans toutes les sociétés. Et c'est de ce point de vue que certains pouvaient affirmer que l'adolescence n'existe pas ; elle ne constitue pas un problème général.

      L'adolescence a dès lors commencé à intéresser les historiens. Du moins ceux qui réfléchissaient sur l'adolescence ont-ils pris en compte le point de vue de l'histoire. Pour s'apercevoir que la notion n'avait effectivement pas toujours existé et que son apparition était même très récente. Elle datait tout juste de la seconde moitié du XIXe siècle, et en Europe, du début du XXe siècle. Elle s'est même imposée bien plus tardivement dans l'histoire de nos sociétés comme dénomination socialement partagée. Certes, le terme « adolescent » n'était pas nouveau. Il était utilisé déjà chez les Grecs et, s’il n’est apparemment plus en usage à la Renaissance par exemple, il est présent à d'autres moments de l'histoire de nos sociétés. Ces emplois réfèrent toutefois à un tout autre sens que celui qu'il est venu prendre actuellement. « Adolescence » peut s'entendre également, conformément à l’étymologie, au sens d'un processus de croissance qui démarre dès l'enfance (et qui est dès lors accompli chez « l’adulte »). La notion moderne, consacrée par les dictionnaires dès la seconde moitié du XIXe siècle, s'est en fait imposée avec l'apparition de l'école obligatoire et, plus précisément, la prolongation progressive de la période de scolarisation. Dans la première moitié du XXe siècle, en Europe, il existait ainsi une jeunesse qui n'avait pas connu l'adolescence parce qu'elle avait été mise au travail de bonne heure. Pendant toute une période ont socialement coexisté, d’une part, des adolescents, dont les études se prolongeaient au-delà de l'âge à partir duquel il devenait possible de quitter l'école et, d'autre part, des jeunes qui n'avaient pu connaître cette forme particulière d'existence sociale.

     La sociologie a également son mot à dire sur la relativité de l’adolescence et elle nous rappelle que celle-ci n’a pas pénétré, si l’on peut dire, tous les milieux sociaux en même temps. Elle est longtemps réservée aux familles aisées. Elle ne concerne, jusqu’à la première guerre mondiale, qu’une minorité, en l’occurrence l’élite masculine, les jeunes filles n’étant alors pas destinées à faire des « études ». Les dates qui ont marqué l’évolution progressive de l’obligation scolaire sont sans nul doute importantes à rappeler pour comprendre la façon dont s’est dessinée la problématique de l’adolescence jusqu’à nos jours. L’obligation de scolarité a été initialement instaurée, en France, à 13 ans en 1882, avec les lois Jules Ferry, soit à peu près à l’âge à partir duquel il est possible de parler d’adolescence. Qui plus est, dès l’âge de 11 ans, il était possible de se libérer de cette contrainte à partir du moment où l’on possédait le certificat d’études primaires. L’obligation est portée à 14 ans en 1936 et à 16 ans en 1959. Au début des années 1960, encore, la moitié des garçons sont déjà au travail à 16 ans. Leur adolescence se révèle donc, de fait, brève, même si la situation qui est faite à ces jeunes n’a rien de comparable avec ce qu’il en était au début du siècle. Lorsque l’objectif politique sera de conduire au bac plus de 80% d’une génération, la question de l’adolescence prendra de toute évidence une toute autre portée…

     

    2 – Une construction sociale

    Une telle approche du phénomène de l'adolescence oblige à comprendre à quel point il s'agit d'abord et avant tout d'une réalité socialement construite. Encore faut-il avoir clairement distingué, en un premier temps, l'adolescence de la puberté et être ici rigoureux du point de vue des termes qu'on emploie. La puberté est un phénomène physiologique général. Il est lui-même soumis à des variations qui tiennent notamment à l'impact du social sur le physiologique, puisque l'on sait que l'apparition des premières règles, par exemple, évolue au fil de l'histoire et dépend en particulier des habitudes alimentaires. La puberté n'en demeure pas moins un processus physiologique qu'il ne faut pas confondre avec l'adolescence. Sans nul doute, la puberté représente-t-elle un phénomène déterminant, qui conditionne en quelque sorte les processus qui fondent l'adolescence. Mais le registre dans lequel la question de l'adolescence survient n'est pas celui dans lequel celle de la puberté se pose. La puberté est un phénomène de nature, alors que l'adolescence est un phénomène de culture, c’est-à-dire relevant d’un fonctionnement proprement humain. La distinction suppose qu'on ait saisi que nous avons affaire à deux registres de processus différents, renvoyant chacun à un ordre de réalité propre. Les lois qui vont rendre compte de ce que recouvre le phénomène de l’adolescence ne sont pas celles qui expliquent la puberté et, réciproquement, les lois physiologiques qui rendent compte de cette dernière sont inaptes à éclairer ce qui se joue à travers l’adolescence.

    En d’autres termes, la puberté constitue le substrat physiologique à partir duquel vont se déclencher des processus qui ne répondent plus aux lois de la physiologie et qui donc, paradoxalement, leur échappent. Ainsi en est-il de cette construction sociale que constitue l’adolescence. Soutenir qu’il s’agit d’une construction sociale revient à affirmer que l’on a affaire à une réalité élaborée dans des conditions socio-historiques précises, répondant en dernier lieu à des préoccupations de nature « politique ». Cette réalité, totalement étrangère aux lois de la physiologie, vient s’imposer peu à peu comme une évidence. Autrement dit, elle participe d’une opération, inconsciente quant au principe, de « naturalisation » : l’adolescence, en l’occurrence, paraît s’imposer d’elle-même à la société qui l’a créée ; tout se passe comme si elle avait toujours existé et la société procède du même coup à une sorte d’effacement de l’opération socio-historique à partir de laquelle elle l’a pourtant instituée. Politiquement, c’est-à-dire du point de vue de la gestion de la population concernée dans le cadre de la cité, il aurait été possible de procéder tout autrement et donc, notamment, de ne pas « créer » d’adolescence. Nous reviendrons plus loin sur les autres solutions envisageables et retenues par d’autres sociétés. Dans l’histoire de l’adolescence, on retiendra en tout cas la surprise qui a été celle de l’Amérique du Nord dans les années 1930, lorsqu’a été diffusé auprès du grand public le travail de l’ethnologue Margaret Mead, réalisé en Océanie.

    À cette époque, les États-Unis s’inquiétaient déjà des façons de faire de sa jeune génération. Ils l’accusaient d’instabilité et de dérèglement. Les psychologues n’offrant pas d’autre explication que l’appel à des caractéristiques de l’âge, c’est-à-dire en fin de compte à une nature humaine, l’ethnologue pouvait faire l’hypothèse que le milieu social de l’adolescent était pour quelque chose dans les difficultés qu’il présentait. Partie étudier en Océanie la société samoanne pour comparer les civilisations et en tirer des enseignements d’ordre éducatif pour les États-Unis, Margaret Mead en revenait en insistant sur le fait que cette période n’apparaissait pas nécessairement, dans cette autre société, comme « tendue et  tourmentée ». Elle montrait que dans cette civilisation totalement différente de la sienne, les filles comme les garçons n’avaient, jusque l’âge de 15 ou 16 ans, « aucune place reconnue » (les enfants étant considérés comme « non-participants » à la société), et que, notamment, rien ne permettait « de distinguer clairement le groupe des adolescentes de celles qui le seraient dans deux ans ou de celles qui l’étaient devenues deux ans plus tôt ». Autrement dit, cette société ne connaissait pas, au sens strict, l’adolescence, même si elle avait bien affaire, elle aussi, aux transformations physiques de la puberté et les prenait en compte d’une manière qui ne put que choquer l’Amérique.

    Rapportée par conséquent, dans les sociétés occidentales, à une certaine réalité sociale, liée à la généralisation de la scolarisation et au report de l'âge à partir duquel il est possible de travailler, l'adolescence a été logiquement assimilée à l'âge de « l'irresponsabilité ». Cette irresponsabilité s’est trouvée corrélée pour certains à une forme d’insouciance, en opposition au sérieux de la vie adulte. Or, cette irresponsabilité était, et est toujours, imposée à l’adolescent par la société, même s’il est censé en retirer des bénéfices, sociaux tout d’abord, à travers une formation plus solide. On comprend qu’on ait pu évoquer, à propos de l’adolescence, une forme de no man’s land : mi enfant – mi adulte, l’adolescent n’est ni enfant – ni adulte. Il demeure dans une « enfance de culture », c’est-à-dire dans une enfance prolongée au-delà de la fin de l’enfance. Aussi bien, la question vient rapidement se poser, surtout de nos jours, de la différence éventuelle de l’adolescence et de la jeunesse. La jeunesse se prolongerait en effet de nos jours jusque bientôt l’âge de 30 ans. Peut-on parler d’adolescence jusqu’à cette période ? Si ce n’est pas le cas, qu’est-ce qui vient différencier l’adolescence de la jeunesse ? On peut déjà faire remarquer que ces termes sont ordonnés à des appropriations disciplinaires différentes : le psychologue parle d’adolescence et le sociologue de jeunesse, même si les usages ne sont pas toujours aussi stricts. Ce n’est toutefois pas là une réponse suffisante à la question de leur éventuelle différence.

    Certains auteurs évoquent, à propos de cette tranche d’âge débordant la majorité légale, une post-adolescence ou une adolescence prolongée. Les sociologues nous apprennent en fait que la jeunesse, entendue donc comme cette période allant aujourd’hui jusque bientôt 30 ans correspond au moment où les personnes concernées n’ont pas épousé l’intégralité des rôles qui définissent, dans nos sociétés, l’état d’adulte. On observe notamment une désynchronisation des seuils de la vie professionnelle et de la vie familiale, l’engagement dans une « vie de couple » se faisant à présent de plus en plus tardivement. 30 ans est en l’occurrence l’âge où, statistiquement, les femmes ont aujourd’hui leur premier enfant. C’est donc à un étalement, cette fois-ci des critères d’accès à l’âge adulte, auquel on assisterait avec l’allongement de la jeunesse (relatif, au demeurant, selon les sociétés occidentales). Quoi qu’il en soit, la jeunesse, entendue de cette façon, nous conduit bien au-delà de l’âge de l’obligation scolaire et des études, mais également au-delà de l’âge légal à partir duquel nos sociétés accordent la pleine citoyenneté à travers la majorité. De ce point de vue, il existe une différence entre ces deux réalités, même si elles répondent toutes deux à une construction sociale.

     

    3 – Un concept psychologique

    Si l'adolescence se révèle être foncièrement et avant tout une réalité sociale, son étude ne se réduit pas, bien évidemment, à ce que l’histoire et la sociologie peuvent en dire. Elle relève, en tant que réalité concrète, d'autres points de vue et notamment de celui de la psychologie. La psychologie s’est même posée, durant des décennies, comme la seule discipline pouvant rendre compte de ce phénomène. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la sociologie lui a laissé le terme, optant, quant à elle, pour la « jeunesse ». Cette psychologie, qui ne pouvait alors envisager ces questions qu’en termes de genèse, c’est-à-dire de développement ou de croissance, nous a fait croire pendant des décennies que l'adolescence était une période naturelle de l'existence que tout individu devait traverser. Se fondant sur ce seul processus qui lui faisait rendre compte du développement de l’individu en termes de stades, cette psychologie situait fort logiquement l'adolescence comme une étape parmi d’autres d’un parcours naturel qui valait pour tout homme, sans distinction d’époque et de société. Il s’agit donc bien là d’une naturalisation des phénomènes, toute autre considération, notamment d’ordre social, étant saisie comme accessoire. Un auteur comme Arnold Gesell, grand psychologue américain, auteur d’une trilogie qui a marqué des générations de chercheurs, est particulièrement représentatif d’une telle orientation. Revendiquant une approche naturaliste et faisant explicitement du développement le concept-clé de son approche, il pense la question de l’adolescence en termes de maturité et de « gradients de croissance ».

    Il est toutefois possible de retenir un point particulièrement intéressant de cette approche génétique, la seule en vigueur en dehors de la psychanalyse et de la psychologie clinique, jusqu’aux trois quarts du XXè siècle. Quels que soient les auteurs et leurs divergences théoriques, tous se sont accordés sur le fait qu’à partir de 12 ans, c’est-à-dire au moment de la clôture de l’enfance et de l’entrée dans la période d’adolescence, les tests n’apparaissent plus discriminatifs comme tests de développement. Il faut en conclure que, pour autant que la notion de développement soit réellement explicative auparavant, elle ne l’est plus à partir de cet âge ; d’autres dimensions, proprement humaines, sont donc à prendre en compte. Par ailleurs, ces psychologues ont tout de même insisté sur des caractéristiques de l’âge de l’adolescence sur lesquelles nous serons amenés à revenir. Si leur approche est entachée d’un naturalisme auquel il n’est plus possible de souscrire, il n’en demeure pas moins qu’ils ont finement observé des comportements qu’il faut être en mesure d’expliquer, à partir d’autres modes de repérage théorique. Aussi bien Stanley Hall, pionnier en la matière, que P. Mendousse ou, ultérieurement, M. Debesse et H. Wallon, c’est-à-dire les grands psychologues de l’adolescence, ont produit des réflexions qui gardent aujourd’hui encore une certaine valeur.

    Il n’en demeure pas moins que la psychanalyse, et plus largement la psychologie clinique, a apporté encore plus d'éléments de compréhension des processus adolescents. Freud ne parle, quant à lui, que de puberté. Il accorde à ce moment une grande importance, même s’il ne s’y est pas étendu dans un écrit particulier ; il va jusqu’à affirmer que ce n’est qu’à partir de ce phénomène que s’instaure une séparation nette et définitive du contenu des deux systèmes, inconscient et conscient. À sa suite, les psychanalystes insisteront sur deux éléments essentiels, à leurs yeux, caractérisant l’adolescence : une redéfinition identitaire et un bouleversement pulsionnel. Selon les auteurs et les écoles à l’intérieur du mouvement psychanalytique, l’accent sera mis plus sur l’un ou sur l’autre. Qu’on ait affaire à un moment de construction identitaire fondamental, Freud le soulignait déjà en insistant sur le fait que la condition première de cette transformation était le détachement de la figure du père, et plus largement des parents. L’Œdipe, moment fondamental dans la théorie freudienne posant les bases de la subjectivation — pour reprendre une terminologie moderne —, se trouve retravaillé avec ce que déclenche la puberté. Au point que cette réactualisation peut conduire à évoquer un second Œdipe. La puberté, souligne Freud, remet en question l’équilibre sur lequel l’enfant s’était construit durant la fameuse phase de latence (à partir de la résolution du complexe d’Œdipe) et elle introduit une nouvelle forme de stabilisation des instances psychiques, qui est celle-là même avec laquelle l’adulte devra faire.

    On assiste à l’adolescence à une refondation des identifications. Freud avait insisté, de son côté, sur la notion d’après-coup, laquelle introduisait un remaniement d’expériences antérieures et leur conférait, à partir du décalage pubertaire, un sens nouveau et une efficacité psychique qu’elles n’avaient pas jusque-là. Par ailleurs, celui qui était jusque-là un enfant vient se confronter à la génitalisation de ses pulsions. Du même coup, il découvre véritablement l’autre sexe et redéfinit l’ensemble de ses rapports à autrui. Il passe, diront ainsi les lacaniens, d’un Autre parental à un Autre barré, c’est-à-dire marqué du sceau de l’incomplétude, donc ici de la différence et de l’absence. Toutefois, c’est avant tout sur le bouleversement pulsionnel provoqué par la poussée pubertaire que vont insister la majorité des psychanalystes. L’adolescent se trouve pris dans une forme de tourmente. De telle sorte que plusieurs auteurs en viendront à évoquer, de manière paradoxale, une « psychopathologie normale » caractérisant l’adolescence. C’est en fait l’ampleur que prennent ces manifestations de l’adolescence qu’il s’agit là de souligner. 

    On soulignera cependant que nombre de psychanalystes demeurent méfiants par rapport à la notion d’adolescence et que celle-ci a d’ailleurs tardé à se faire une place spécifique dans le discours psychanalytique. Cette méfiance peut se comprendre en lien avec le fait qu’il ne peut s’agir d’une notion générale, et pas simplement en raison de la thèse selon laquelle que « le sujet de l’inconscient n’a pas d’âge ». Il n’en demeure pas moins que la prise en charge de l’adolescent soulève en même temps des problèmes spécifiques, aussi bien par rapport à l’enfant que par rapport à un adulte jouissant des marques pleines et entières de la citoyenneté. Il est temps, en définitive, de rapporter cette fameuse adolescence à des processus plus larges, que nous qualifierons dès lors d’anthropologiques. 

     

    1. II) Mourir à l’enfance

     

    1 – Les enseignements de l’ethnologie

     Concernant la question qui nous préoccupe, l'ethnologie n'a pas pour seul intérêt de nous sensibiliser à l'importance de la civilisation, au regard d'une approche en termes de développement et de maturation, et de nous faire remarquer qu’en fin de compte l'adolescence n'existe pas dans toutes les sociétés. Depuis longtemps déjà, elle avait attiré notre attention sur le fait que les sociétés qu’elle s’attache à étudier distinguent clairement la puberté physiologique de la puberté sociale. Évoquer la notion de « puberté sociale » se révèle contradictoire dans les termes, si l’on suit notre précédent raisonnement (les premiers psychologues de l’adolescence parleront, analogiquement, de « puberté mentale »). Il n’en demeure pas moins que c’est déjà là faire remarquer que la dimension physiologique n'est pas la seule à prendre en compte dans une telle problématique et que toute société opère explicitement une dissociation en ne faisant pas coïncider dans le temps ce qui relève du registre du social et ce qui répond au registre de la nature. La réalité pubertaire se trouve bien prise en compte, mais ce n’est pas sur elle que la société va se fonder dans les repères dont elle se dote ; elle va se donner ses propres délimitations. Ces civilisations ne vont pas surseoir à l’opération qu’elles jugent socialement nécessaire et promouvoir une forme d’étalement dans le temps des processus, à la manière de notre adolescence ; elles vont faire état d'un seuil qu’elles vont marquer de manière très formelle. Ce seuil se traduira par des rites de natures différentes selon les sociétés. Ces rites auront tous pour fonction de délimiter clairement un moment, ou un espace, qui diffère de ce qui valait auparavant. On parle alors de rites d'initiation.

      Nous disposons d’une littérature nombreuse sur ces rites et sur les diverses modalités qu’ils recouvrent selon les sociétés. On se réfère toujours, pour les décrire et les expliquer, aux travaux fondateurs d’Arnold Van Gennep sur les rites de passage. Cet auteur avait, dès le début du XXè siècle, souligné le fait, d’abord, que de tels rites existaient toujours et qu’ils comportaient tous, ensuite, trois moments : un moment préliminaire, un autre liminaire et, enfin, un dernier post-liminaire. Ces trois moments correspondent, du point de vue de celui qui les vit, à la séparation, puis à la marge et, en dernier lieu, à l’agrégation. Ces rites, qui accompagnent donc tout changement de temps, de lieu et de statut social, s'organisent par conséquent de la même façon en ce qui concerne l'initiation. Celui qu’il s’agit d’initier à sa société va connaître d’abord un moment de séparation qui va le voir quitter ses habitudes sociales et rompre avec le type de relation qu'il entretenait jusque-là avec son entourage. Il va être éloigné de la communauté et va vivre un moment plus ou moins long de marge, avant de pouvoir revenir dans sa société. Ce n’est que dans ce dernier temps qu’il se verra véritablement agrégé à la société dont il devient membre à part entière. En d'autres termes, on va lui faire endurer certaines épreuves qui vont prendre des formes très différentes selon les sociétés et selon les époques. Ces épreuves peuvent se révéler relativement insignifiantes en apparence, comme elles peuvent prendre la forme d’écueils que le jeune va devoir affronter, éventuellement au péril de sa vie. Dans un cas comme dans l’autre, ces épreuves vaudront symboliquement comme rites de passage et le feront basculer socialement, une fois le processus achevé, d’un monde à un autre.

     En Afrique noire, le futur initié est ainsi envoyé en brousse, dans des lieux considérés comme sauvages, habités par des puissances invisibles. Placé hors de la condition humaine, il côtoie alors les défunts ancêtres et le monde de l’au-delà. On le couvrira éventuellement de poudre blanche, afin qu’il soit au plus près du monde des fantômes et se confonde avec eux. On le confronte à des hommes masqués, des anciens du village ; on peut quelquefois lui faire porter un masque, symbole d’une distance à soi-même et aux autres. Par ailleurs, des interdits protègent le futur initié des relations avec les autres et, inversement, préservent les autres de son contact. Il peut parfois jouir de manière surprenante de droits aberrants, comme celui de voler. Par la suite, il pourra être traité comme un véritable nouveau-né, qui doit tout réapprendre. On lui enseigne éventuellement un langage secret ; on lui fait apprendre des proverbes ou partager un savoir nouveau. On peut lui conférer un nouveau nom, mais aussi un nouveau visage, et tel est le sens des balafres et scarifications qui vont marquer sur le corps le changement de statut qui est le sien et le déchirement qui s’est opéré en lui.

    Ces pratiques ont tout d'abord pour intérêt de nous faire saisir que s'il est autant d'enfants qu'il existe de sociétés, toute société marque clairement la différence entre une période d'enfance et une autre période durant laquelle l’individu se trouve pleinement inscrit dans le social, du moins potentiellement. Durant l'enfance, quel que soit le mode de traitement dont l'enfant est l’objet, celui-ci sera toujours considéré comme non participant et comme non contribuant à la société qui est la sienne. C'est de ce point de vue qu’il est, non seulement possible, mais nécessaire de faire appel à une conception anthropologique de l'enfance, qui déborde le traitement social particulier, en l'occurrence politique, dont l'enfant fait l'objet dans les diverses sociétés. Il existe bien un état d’enfance, avec des caractéristiques sur lesquelles il faut insister pour bien comprendre, par différence, ce qu'il en est de celles que présente, dans nos sociétés occidentales, l'adolescent. L’existence de cette généralité de l’état d’enfance (au-delà du fait qu’on n’assiste qu’à des formes de prise en charge particulières, et donc aucunement universelles, de l’enfant selon les sociétés dans lesquelles il vient s’inscrire) offre un démenti radical aux considérations contemporaines qui, au nom de l’application à tous des principes individualiste et démocratique, contestent la spécificité d’un tel état d’enfance en le réduisant à une forme sociale d’assujettissement et donc à une minorité opprimée. Les pratiques initiatiques attirent toutefois notre attention sur un autre point, plus important encore en ce qui concerne notre questionnement, qui va nous mettre sur la voie des processus que supposent la participation et la contribution au social, quelle que soit la société prise en exemple.

    La justification de ces pratiques initiatiques, telle qu’elle nous est rapportée par les ethnologues, se révèle être toujours la même, quelle que soit la société concernée. Il s'agit pour le postulant de « mourir à l'enfance ». Autrement dit, toutes ces manifestations ont pour objectif de marquer de manière explicite la sortie de l'enfance. Elles mettent en scène symboliquement, à travers les épreuves que doit affronter le futur initié, la rupture avec l'état d'enfance et la forme de rapport social qu’il suppose. Ces épreuves ouvrent dans le même temps le nouvel initié à sa société et l’argument invoqué est alors celui de la « renaissance », en l'occurrence d'une naissance véritable au social. Le nouvel initié compte à présent comme citoyen à part entière et il va pouvoir contribuer à sa mesure à la marche de la société dans laquelle il vient s’inscrire avec un statut radicalement différent. On aurait toutefois tort de s’imaginer que ces pratiques initiatiques ne valent que dans des sociétés très éloignées des nôtres, à la fois dans l'espace et dans leur mode d'organisation. Nos sociétés ont eu les leurs jusque l’invention de notre adolescence qui n’est finalement qu’un état de marge prolongé à l’extrême. Le jeune Grec s’arrachait déjà de la même façon à la nature, à travers une série de rites et de procédures symboliques que les historiens se sont attachés à nous restituer dans leur diversité et leur complexité. Plus près de nous, Rousseau, qui employait le terme d’adolescence (peu, toutefois), évoquait clairement à son propos une « seconde naissance », à partir de laquelle l’homme s’ouvrait « véritablement à la vie ».

     

    2 – « On tue un enfant »

    L'enjeu des rites d’initiation est donc bien la mort de l'enfance, c'est-à-dire la rupture avec un mode d'être qui suppose un certain type de relations dont on dira qu’il est incompatible avec le fait d’être, au sens plein, protagoniste d’un échange, dans le cadre d'une société donnée. Si l’on passe à présent du champ de l’ethnologie à celui de la psychanalyse, on observe une analogie frappante du point de vue des processus auxquels il est fait appel. Freud, déjà, avait souligné l’importance d’un meurtre symbolique qui était celui du père (à travers ce détachement nécessaire dont il a été question plus haut – tâche qui s’impose à tous et à chacun, insistera Freud). « Il faut tuer le père », disait-on couramment à sa suite, il y a encore peu de temps. Tuer le père revenait en l’occurrence à rompre avec le type de relation non réciproque que suppose l’enfance. Celui qui n’avait pas « tué le Père » était demeuré dans une forme de dépendance à son égard, et donc à l’égard d’autrui en général. Il s’agissait là d’un meurtre symbolique, c’est-à-dire d’une opération effectuée dans un registre qui n’a rien à voir avec la réalité matérielle, opération à partir de laquelle il devient possible, pour tout un chacun, de se poser dans sa singularité et dans son identité propre vis-à-vis d’autrui. Ce meurtre du père, Freud l’avait postulé, en raison de l’ancrage encore évolutionniste de sa pensée, à l’orée des temps, à une époque où les hommes étaient censés avoir vécu sous la forme d’une horde sauvage, au même titre que les animaux et donc en dehors de toute humanité. Ils avaient été en mesure d’accéder à cette humanité à partir précisément de ce meurtre qui les avait fait rompre avec un père omnipotent, possédant en outre tous les titres de la jouissance dont eux-mêmes étaient dès lors privés. Lacan précisera qu’il n’est point besoin de remonter à l’orée des temps pour comprendre ce qu’il en est de ce meurtre fondateur : l’opération doit se faire en chacun de nous. Nous avons tous à installer, du point de vue de notre économie psychique, la dimension du « Père mort » et ce, indépendamment de toute forme d’héritage.

     Ce meurtre du père constitue en définitive le pendant du meurtre de l’enfant, puisque, s’il n’est pas réalisé, c’est l’enfance qui perdure comme seul mode d’appréhension de la réalité sociale. Et il est de ce point de vue possible d’envisager un lien beaucoup plus précis entre l’enseignement de la psychanalyse et ce que l’ethnologie nous a révélé à travers le phénomène de l’initiation. Car la psychanalyse évoque également de manière explicite le meurtre de l’enfant, au-delà de celui du père, même si le second constitue en fin de compte une autre façon d’envisager la nécessité du premier. Un auteur résume notamment, de manière très précise, l’enjeu pour celui qui ne peut demeurer dans l’état d’enfance. Il s’agit de Serge Leclaire, psychanalyste auquel on doit un remarquable petit ouvrage, déjà ancien, qu’il a significativement intitulé « On tue un enfant ». Dans ce travail, il commence par affirmer que dans le cadre de la cure analytique, il s’agit sans cesse de faire disparaître un enfant. C’est à un travail de ce type, ajoute-t-il, que doivent se livrer aussi bien le psychanalyste que l’analysant. Voilà qui, de prime abord, n’est pas sans surprendre, surtout à notre époque qui confère à la protection de l’enfance une place souvent démesurée, du moins sur le papier. La mort de l’enfant, souligne Leclaire, fait immédiatement appel à une dimension d’insupportable. On retrouve l’horreur sacrée et Dieu lui-même arrête la main d’Abraham prêt à lui sacrifier, à sa demande, son enfant. La pratique de la psychanalyse, explique notre auteur, met en évidence le travail constant d’une force de mort qui vise donc l’enfant.

     L’enfant que le psychanalyste prend ici en compte est un enfant dont il insiste sur le caractère merveilleux. Il est merveilleux dans la mesure où il est avant tout traversé par ce qui émane du désir et de ses aléas. En d’autres termes, il s’agit d’un enfant rêvé, d’un enfant idéalisé, tel celui que les parents désirent pour leur progéniture, mais tel également que nous pouvons souvent nous représenter notre propre enfance à travers les souvenirs que nous en avons, même s’ils ont été depuis refaçonnés (du fait d’abord qu’ils nous ont la plupart du temps été rapportés par nos parents, mais aussi du fait que nous avons conféré à ces événements une valeur qu’ils n’avaient pas nécessairement pour nous au moment où nous sommes censés les avoir vécus). Merveilleux, il n’en demeure pas moins un enfant et en tant que tel, il doit donc être l’objet d’un meurtre nécessaire. 

    L’argumentation n’a pas grand chose à voir, à première vue, avec celle produite par les ethnologues. Elle est pourtant pertinente et fondamentale par rapport à notre questionnement sur les enjeux que recouvre chez nous l’adolescence. Aucun ordre social, rappelle le psychanalyste, ne saurait nous dispenser de procéder à ce meurtre en nous. Cette contrainte n’est pas extérieure, due à des orientations politiques initiées par nos sociétés ; elle n’est pas non plus le produit de l’héritage constamment perpétré du meurtre du père de la horde primitive à l’orée des temps (scénario, soit dit en passant, qui n’est pas sans analogie, chez Freud, avec la problématique religieuse du péché originel — ce qui a été souligné par beaucoup) : elle est consubstantielle, si l’on peut dire, au mode de fonctionnement de l’homme en tant qu’il participe de l’humanité, saisie ici sous l’angle de sa participation et de sa contribution au social. L’homme vit en fin de compte « entre deux morts » : celle qu’il lui faut nécessairement traverser pour assumer son existence propre et celle qui, inexorable, le conduit au cimetière, voire dans l’au-delà pour ceux qui sont croyants. La première, symbolique, bien que d’une efficacité certaine, n’est surtout pas à confondre avec la seconde, sous peine d’en arriver à une solution comme le suicide. Qu’il faille se tuer pour vivre humainement ne doit pas conduire à se supprimer réellement, c’est-à-dire physiologiquement ! Le meurtre nécessaire de l’enfant en nous répond à l’exigence d’un deuil d’une représentation de plénitude, celle-ci étant précisément l’inverse de l’incomplétude évoquée plus haut à propos de l’Autre barré des auteurs lacaniens.

     

    3 – Un conflit interne

    Il s’agit donc pour la psychanalyse également d’insister sur la nécessité de faire disparaître un enfant, c’est-à-dire de mourir à une forme d’être qui ne permet pas l’affirmation de sa singularité et qui n’autorise pas du même coup un échange véritable avec ceux qui nous entourent et la société en général. Cette nécessité, il nous faut la qualifier d’anthropologique, dès lors qu’elle renvoie aux fondements mêmes de l’humain saisi dans son fonctionnement spécifique. Ethnologie, d’un côté, psychanalyse, de l’autre, la mettent en avant et la font valoir au-delà de la diversité des configurations sociales comme des singularités psychiques. Toutefois, la psychanalyse affirme par ailleurs quelque chose de plus intrigant encore, du moins en apparence : cette mort nécessaire se révèle en même temps impossible. Voilà qui semble profondément contradictoire ! Alors même qu’il faut procéder au meurtre de l’enfant en soi, il faut pouvoir reconnaître que ce meurtre ne peut être accompli une fois pour toutes. Il est donc sans cesse à perpétrer. L’enfant survit, un peu comme l’hydre de Lerne, à toutes les tentatives faites pour l’annihiler. Nécessaire, le meurtre apparaît de ce point de vue irréalisable. Le deuil de cet enfant en nous, nous dit le psychanalyste, est à faire et refaire continûment. Il ne peut donc être question d’y renoncer. Ce serait humainement disparaître en ne se donnant plus de raison de vivre (on ne persévérerait alors dans nos rapports avec autrui que sur le seul mode de l’enfance). En même temps, il faut se résigner à devoir reconduire constamment l’opération…

    Le psychanalyste d’obédience lacanienne, qui fait du seul langage la spécificité de l’homme et qui étend donc le sens de ce terme jusqu’à le faire équivaloir à la totalité des activités humaines, voit évidemment dans cette opération la condition d’une naissance et d’une constante renaissance à la « parole », en même temps qu’au désir. Le meurtre est à perpétrer à chaque fois qu’on se met à parler vraiment, soutiendra-t-il. En conférant à un tel propos le sens métaphorique qu’il recouvre en réalité, on en étend très sensiblement la portée puisqu’il s’agit alors, non seulement de prendre la parole, mais d’affirmer de toutes les façons sa singularité et donc son existence propre, dans un rapport constant à un autrui posé dans sa différence. Reste également à régler la question de l’âge auquel une telle opération se déroule pour le psychanalyste. Est-elle vraiment contemporaine de l’entrée dans l’adolescence dans nos sociétés ou des rites initiatiques dans d’autres sociétés ? Le sujet des psychanalystes lacaniens étant un sujet de l’inconscient et n’ayant par conséquent pas d’âge par définition, rien ne permet pour beaucoup de l’affirmer. Certains n’hésiteront pas à soutenir que l’opération commence dès la naissance et on comprend que ce soit ces mêmes auteurs qui en viennent à récuser toute spécificité à la période de l’adolescence. D’autres psychanalystes, travaillant auprès d’adolescents et soucieux de rendre compte des particularités de prise en charge que cette population leur renvoie, saisiront bien ce meurtre comme coextensif à l’entrée dans l’adolescence, au même titre que Freud. L’enfant reste un sujet en instance, soutiendront certains, le moment de l’adolescence étant véritablement celui où l’on naît au monde et où on ne s’autorise plus que de soi-même.

    Ethnologie et psychanalyse se rejoignent donc sur la nécessité de mourir à l’enfance pour s’ouvrir à un autre type de rapport avec autrui et pour prendre véritablement part au social. La psychanalyse prolonge toutefois l’analyse proposée par l’ethnologie. Celle-ci nous éclaire sur l’importance pour la société de mettre en scène et de résoudre un conflit entre deux phases de la vie de l’homme, l’enfance et l’âge dit adulte. La psychanalyse permet, quant à elle, de comprendre ce qui se joue pour chaque homme à travers des rites qui valent pour tous. Elle approfondit les processus qui opèrent au niveau de chacun des acteurs, pourrait-on dire en reprenant le vocabulaire qui s’impose actuellement dans le champ de la sociologie. Cet « acteur », posé comme un postulat, n’est au demeurant jamais réellement défini du point de vue des processus qui fondent son existence. Quoi qu’il en soit, la société prend implicitement en compte ces processus dans la mesure où ils ont des effets dans le social et où il s’agit de marquer un seuil ou une rupture qui se répercute sur les modalités de l’être ensemble. L’origine de ces processus se trouve cependant en chaque homme ; la société les révèle, elle en prend acte à sa façon, mais elle ne les détermine pas. Il faut comprendre, à l’inverse, que ce sont ces processus qui déterminent le social, en ce sens qu’ils déclenchent en chaque homme la possibilité même de s’y ouvrir. 

    Le conflit, montre la psychanalyse, est un conflit interne à chacun d’entre nous. Du même coup se trouve dépassée la contradiction entre ceux qui affirment que l’adolescence n’entraîne pas nécessairement un conflit et ceux qui, dans la suite de la psychanalyse, soutiennent l’inverse. Le conflit existe toujours, mais il est d’abord interne et il ne s’actualise pas nécessairement dans le social et dans l’entourage. Les psychologues cliniciens et les psychiatres connaissent bien ce problème : un adolescent peut ainsi ne laisser voir quasiment rien du difficile conflit qu’il éprouve et qui le mènera éventuellement à des formes de dépression, voire à des conduites suicidaires. Les sociologues ont de leur côté raison de faire remarquer que, dans nos sociétés, adolescence ne rime pas nécessairement avec affrontement et provocation ouverte vis-à-vis de l’entourage ou de la société. Il est par exemple frappant de voir que lorsqu’on interroge les adolescents sur le rapport qu’ils entretiennent avec leurs parents, ils répondent très majoritairement (à plus de 70%) que ceux-ci tiennent somme toute correctement leur rôle, alors que ces mêmes parents s’imaginent, dans une proportion bien supérieure à 30%, qu’eux-mêmes sont en difficulté avec leur adolescent.

     Il n’en demeure pas moins que le conflit caractérise cette période de la vie. Il est même inaugural, en ce sens qu’il enclenche un processus dont il faut à présent comprendre qu’il durera toute la vie. Si, en effet, l’enfance perdure par-delà le meurtre dont elle est incessamment l’objet, le conflit que la sortie de l’enfance inaugure et auquel chaque homme se trouve contraint ne cesse jamais. Sans nul doute, les premières années, après la sortie de l’enfance, seront-elles plus remarquables dans la mesure où les repères qui vont permettre de soutenir par soi-même son existence sont véritablement à installer. Encore faut-il insister sur le fait que les manifestations de ce conflit seront fortement dépendantes de l’offre de la société, c’est-à-dire des appuis que le nouvel initié ou l’adolescent trouvera autour de lui. L’analyse sociologique reprend ici ses droits. C’est cependant son histoire qu’il commence à écrire, à partir des rencontres qu’il va faire et des opportunités dont il va s’emparer, et celle-ci se déploiera jusqu’à sa mort. 

     

    1. III) L’émergence a la personne

     

    1 – La contingence de l’être

    Il importe de préciser plus encore ce qu’il en est de ce seuil auquel se trouvent donc confrontées toutes les sociétés et de définir les caractéristiques de cette problématique dont il est dit qu’elle vaut de manière générale. À travers elle, il est en fin de compte fait appel à un ordre de processus qui vaut indépendamment des conditions historiques dans lesquelles il va se déployer et qui peut donc être posé pour cette raison comme « général ». Beaucoup récusent l’existence d’un tel ordre général de processus. Ils arguent du fait que cette l’hypothèse serait métaphysique, c’est-à-dire qu’elle conduirait à renouer avec une tradition situant l’explication de l’homme en dehors de lui et évacuant notamment l’importance du social. Pourtant, c’est bien à un principe général de cet ordre que nous renvoie la problématique sous-tendant la question de l’adolescence. La nécessité d’opérer ce meurtre de l’enfant dont il a été longuement question, ainsi que la renaissance qui en découle, obligent à comprendre que l’on touche ici au fondement même du social. C’est au social et aux processus généraux qu’il requiert que le nouvel initié, comme l’adolescent dans nos sociétés, s’ouvre, même si c’est à une société précise, avec ses usages propres, qu’il va s’agréger. Ce n’est nullement nier l’importance du social que de rappeler que tout homme, contrairement aux autres êtres vivants (pour lesquels ni la question de l’initiation, ni celle de l’adolescence ne se pose), met en œuvre, sans même s’en rendre compte, des lois qui le rendent capable de vivre avec ses semblables quelle que soit la société dans laquelle il va s’insérer. Il s’agit, bien au contraire, de comprendre ce qui va permettre à un homme de faire avec la société dans laquelle il a à s’insérer.

    Ce principe du social, certains ont essayé de le saisir en parlant de Loi, avec un grand L, tout homme étant alors censé se confronter au principe de la Loi, par-delà les lois, c’est-à-dire les usages, codifiés ou non, qui valent dans une société donnée. D’autres, à la suite de Freud, ont insisté sur la dimension du Père, lequel, en tant que principe (d’où le P majuscule), n’a pas de sexe et n’est pas non plus réductible à la figure qui va l’incarner. Il s’agit toujours de remonter au fondement de la Loi, c’est-à-dire à ce qui permet de s’ouvrir à des relations plurielles et donc de nouer du lien social. Et Lacan de rappeler que c’est sur le Nom-du-Père (ou la « métaphore paternelle ») qu’achoppe le psychotique : faute de pouvoir faire avec ce principe, le monde dans lequel il s’inscrit lui apparaît incohérent, sans possibilité d’un quelconque ancrage. Jean Gagnepain choisira, quant à lui, de parler de « Personne » pour désigner ce principe. La personne répond dès lors à cette capacité générale, présente en tout homme, qui permet, non seulement de s’inscrire dans du social, quel qu’il soit, mais d’en être au principe même. Tout homme se situe au principe du social dès lors qu’il est précisément sorti de la période de l’enfance. Par conséquent, il est possible de reformuler la problématique, non pas de l’adolescence en elle-même, mais de ce qu’elle recouvre, en parlant d’une « émergence à la Personne ». Il faut dès lors bien comprendre que la Personne désigne ici un processus, non réductible à une forme d’idéal humaniste et surtout pas à une réalité immédiatement saisissable à travers tel ou tel individu. Tel est l’enjeu qui s’exprime à travers cette fameuse mort à l’enfance, immédiatement suivie d’une renaissance, c’est-à-dire d’une naissance véritable au social.

    On insistera sur le fait que la Personne se fonde sur une forme de négation ou de négativité : il s’agit, en mourant à l’enfance, de faire disparaître, sans y parvenir totalement, une partie de soi-même. Être (socialement), c’est donc ne pas être (ce que l’on était lorsque nous étions enfant) ; naître (au social), peut-on dire encore, c’est n’être (pas). Où le « to be or not to be » d’Hamlet se transforme en un surprenant « to be and not to be »… Être revient en l’occurrence à n’être pas réductible à celui que nous étions lorsque nous étions enfant et, surtout, à ne pas en demeurer au type de relation avec l’entourage que cette forme de présence au monde supposait. Cette façon de définir la Personne pourra paraître bien étrange. Or, c’est à cette forme de négativité que s’ouvre l’adolescent. Elle se traduit d’abord chez lui sous la forme d’une opposition fréquente à son entourage immédiat, à partir de laquelle il devient possible de soi-même se positionner. « Il conteste par principe, dit ce père. Il va prendre exactement la position inverse de la nôtre ». Contester, c’est en même temps faire appel à un témoin, donc à la dimension d’un autre, d’un tiers, qui permet de se situer vis-à-vis de son interlocuteur dans l’échange. À propos des sorties, surtout le soir, question qui fait régulièrement problème dans la vie de famille, le jeune adolescent va faire valoir à ses parents que son meilleur copain est depuis longtemps autorisé à rentrer tard la nuit. Il ajoutera même qu’il n’y a plus qu’eux, parmi tous les parents qu’il connaît, à s’obstiner dans un tel refus ! « Les copains, eux, ont le droit ! » et ce droit relève de l’ordre des choses, tel que l’adolescent se le représente désormais.

    Confronté à cette dimension de négativité en lui-même, l’adolescent ne s’y retrouve plus, au sens strict : il n’est dorénavant plus le même que ce qu’il était naguère, lorsqu’il était enfant. Les psychologues ayant traité de l’adolescence ont tous souligné le fait que l’adolescent vit cette singulière expérience d’une sorte de dépersonnalisation, au sens courant du terme, au moment même où il conquiert sa propre identité. Aussi va-t-il chercher à définir ses propres limites ; il va en quelque sorte se mettre à l’épreuve de lui-même, en même temps qu’il s’éprouve en se confrontant à l’autre. On connaît sa propension à se lancer dans des expériences comme l’alcool ou la drogue. L’adolescent y trouvera sans doute une forme de désinhibition et un moyen rapide de développer ses fantasmes, mais elles constituent en même temps pour lui des formes de rituels. La « piste » associe ainsi en Bretagne une forte alcoolisation à une sortie en groupe ; elle signe l’accès à une nouvelle forme d’existence sociale. On comprend que le discours hygiénique culpabilisant, à propos de la cigarette par exemple, n’ait pas auprès des jeunes l’effet escompté. Les rites de passage n’étant plus aujourd’hui mis en place par nos sociétés, l’adolescent va s’en conférer à lui-même. Il lui faut délimiter un seuil, y compris sur le corps dans les formes de marquage que constituent les tatouages, les piercings et les scarifications. 

    Pris dans le conflit sur lequel nous avons insisté, l’adolescent se trouve en fait divisé d’avec lui-même ; il ne coïncide plus avec ce qu’il était, ni d’ailleurs avec ce qu’il est à présent, au sens où, nous allons y revenir, il ne se réduit jamais au rôle qu’il épouse dans telle ou telle situation. On comprend que la question qui assaille l’adolescent soit effectivement celle de son identité : qui suis-je donc à présent (que je ne suis notamment plus ce qu’enfant j’étais) ? Et ce n’est pas foncièrement pour lui une affaire de conscience, mais d’éprouvé ou plus exactement de vécu : il se vit autre, autre qu’il n’était et en même temps autre par rapport à ceux avec lesquels il entre en relation. C’est d’ailleurs par la même opération qu’il se vit comme autre et qu’il s’ouvre à l’altérité de l’autre. Pour le dire autrement, en se faisant autre qu’il n’est, il éprouve sa propre différence et il saisit en même temps celle de l’autre.

    La personne, en tant que capacité ouvrant au principe du social ou à ce qu’on peut dès lors appeler la « socialité », se fonde donc sur une abstraction, en l’occurrence une absence. L’adolescent s’absente de lui-même, mais il s’absente en même temps de la situation dans laquelle il se trouve pris. Ce n’est en effet que dans la mesure où son être n’est réductible à aucune des situations dans lesquelles il se trouve engagé qu’il peut non seulement répondre présent à toutes, mais encore entrer constamment dans de nouveaux rapports. Ainsi, échangeant avec un enseignant sur un point particulier, il va pouvoir faire appel aux discussions qu’il a par ailleurs sur le même thème avec ses parents ou avec ses amis et prendre véritablement position dans le débat. Inversement, il tirera argument auprès de ses parents ou de ses amis de la discussion qu’il a eue avec l’enseignant pour asseoir son propre point de vue dans cet autre débat. Autrement dit, sa présence dans une situation, quelle qu’elle soit, suppose qu’il ait toujours la possibilité de s’en évader pour participer à d’autres situations. En même temps qu’il est présent, il est donc absent, une partie de lui-même étant prête à s’investir dans d’autres relations dans lesquelles il se situera différemment de ce qu’il donne à voir dans celle-là. Cette dimension d’absence, qui introduit une distance fondamentale à la situation et surtout une contradiction avec la présence effective, d’autres l’ont depuis longtemps saisie en évoquant un « ailleurs » structurant, un « tiers » fondateur, voire un « Autre » barré et vide. Le tiers est ce non-présent, cette place autre, vide dans le principe, à laquelle chacun des protagonistes peut virtuellement en appeler pour que l’échange fonctionne réellement et ne se résume précisément pas à leur simple présence dans la situation. L’adolescent ne va pas se priver de faire fonctionner cette dimension autre dans ses échanges avec son entourage ; elle va lui permettre de tenir tête à ses interlocuteurs. Alors que l’enfant ne peut, lui, faire avec cette absence : il est dans une forme de constante présence à la situation ; il y adhère et ne peut prendre de distance par rapport à elle. Aussi bien reste-t-il anthropologiquement prisonnier d’une relation asymétrique et finalement tutélaire. C’est de ce type de présence au monde que s’évade l’adolescent en émergeant à la Personne.

    Le monde de l’adolescent est dorénavant celui de la relativité ; il lui faut faire avec la dimension de l’arbitrarité, non pas au sens de ce qui est abusif et injuste, mais au sens de ce qui ne découle d’aucune raison ancrée sur des faits intangibles, dont pourraient par exemple rendre compte les lois des sciences de la nature. Il se confronte ainsi à l’arbitrarité de la Loi et au fait, très étrange à première vue, quelle ne se fonde sur rien d’autre que sur elle-même. Toute loi est en effet relative et donc discutable, puisqu’elle n’est jamais que l’effet d’une convention qui peut être à tout moment renégociée et donc remise en question. « Vérité en deça des Pyrénées, erreur au-delà », résumait ainsi Pascal. L’adolescent découvre cette arbitrarité et, bien qu’elle le surprenne, il l’assume en ne se privant pas non plus de la faire jouer : il fera remarquer, non sans raison, qu’il est toujours possible de réviser la loi et donc de procéder autrement qu’on ne le fait à travers celle qu’on lui oppose. Pourquoi à la maison opère-t-on de la sorte à propos de telle règle de vie qui s’est imposée jusque-là à l’ensemble de la famille ? Pourquoi le professeur au collège ou au lycée exige-t-il un devoir toutes les deux semaines, alors qu’il serait tout à fait envisageable de n’en faire qu’un par mois ? Pourquoi encore cet arrêté de la mairie limitant l’usage du terrain de skate-board ou de vélo-cross ? À chaque fois, l’adolescent met le doigt sur un réel problème en soulignant la relativité et la variabilité des usages. Il va pourtant lui falloir faire avec cette arbitrarité, tout groupe social, à quelque niveau qu’on le prenne et quelle que soit son étendue, ne pouvant faire qu’avec des lois qui rendent possibles les échanges, aussi relatives et critiquables soient-elles. C’est d’ailleurs ce que les adultes ont à rétorquer à l’adolescent : il en est ainsi, pour le moment, même si cela peut être éventuellement discuté et remis en cause.

    On comprend dès lors que l’adolescence soit l’âge de l’ouverture aux questions existentielles. Elles surgissent dès lors qu’il vit en lui cette forme d’étrangéité qui découle de cette absence à soi-même et aux autres et de cette non-coïncidence avec lui-même. Où est-il vraiment ? Qui est-il dorénavant ? L’enfant ne connaît pas ces interrogations existentielles, ce qui ne veut aucunement dire qu’il ne pose pas de questions. Ses questions ne portent toutefois pas sur le « sens de la vie », même si elles témoignent de réelles curiosités et parfois d’indéniables souffrances. L’enfant ne se prive pas de tester l’adulte en essayant d’obtenir de lui ce qu’il veut, malgré le refus qui lui est opposé ; il ne met cependant pas en cause fondamentalement l’univers social dans lequel il vit, alors que l’adolescent va l’interroger en remontant à ses fondements mêmes. Là où l’enfant lance un « c’est pas juste ! » (pourquoi tu ne me donnes pas le droit ?), l’adolescent questionne la base même du droit et des usages en vigueur (ce n’est pas à toi de me dire ce à quoi j’ai droit !). En empruntant aux philosophes, on peut soutenir que la sortie de l’enfance expose à la fameuse contingence de l’existence. L’adolescent est conduit à se demander, même si ce n’est pas toujours de manière explicite, de quoi ce monde dans lequel il baigne se soutient en définitive. Quelle est l’assise même de cette construction à laquelle il se confronte, si tout est relatif ? Où sont donc les points d’ancrage dont il paraissait pouvoir se satisfaire étant enfant et qui faisaient que l’édifice tenait ? D’un seul coup, tout devient également possible, dès lors que tout est relatif et contingent. Aussi bien, notre adolescent est-il amené à se demander de quoi lui-même se soutient… Et l’on comprend dès lors ce que veut dire Marcel Gauchet lorsqu’il énonce que « nous devenons véritablement des individus au sens psychique en assumant la contingence qui préside à notre existence ». On ne s’étonnera pas non plus du fait que nombre d’auteurs aient pu soutenir que l’adolescence est l’âge de l’errance ; elle est également celui où l’on s’ouvre au hasard, à la mise en abyme, à l’infini comme à la finitude, toutes perspectives qui échappent précisément à l’enfant.


    2 – La recherche des origines 

    On en arriverait ainsi à dessiner un portrait de l’adolescent parfait philosophe. Il est certain qu’il est mûr pour l’interrogation philosophique, dès lors qu’il en vient nécessairement à s’interroger sur lui-même et sur les autres. Toutefois, la relativité avec laquelle il doit faire le conduit tout autant à se questionner sur le monde physique ; ses interrogations ne sont pas qu’existentielles. Il se situe dans un nouveau type de rapport au processus de la connaissance, du fait de son ouverture à la relativisation, ainsi qu’à des notions comme le hasard, l’infini ou encore les proportions ; il entre surtout dans une relation au savoir totalement différente, puisque celui-ci ne vaut plus par lui-même, qu’il est affaire de capitalisation sociale, donc d’histoire et de négociation. L’adolescent va jusqu’à interroger le savoir dans ses fondements, et ce dans tous les registres. Il ne peut plus être à ses yeux l’affaire d’une personne, qui le détiendrait tout entier, tel le parent ou l’instituteur pour l’enfant ; à présent, il devient discutable et discuté, il est spécialisé, scindé en disciplines, en matières enseignées par des professeurs différents. Il n’est plus simplement un objet éventuel de curiosité, il donne lieu à débat, du moins lorsque la forme de l’enseignement le permet. Les transformations que l’enseignement secondaire introduit par rapport à l’enseignement primaire s’appuient d’ailleurs sur les nouvelles possibilités et sur les nouvelles attentes de l’adolescent, même s’il est certain que tous ne quittent pas l’enfance au même âge et n’arrivent donc pas au collège avec les mêmes atouts. Le collégien doit se prendre en charge, il a à gérer son cahier de texte ou son agenda, il doit changer de lieu à chaque nouveau cours, se confronter à chaque fois à un nouvel adulte… Bref ! Il est mis à nouvelle épreuve, parce qu’il est dans un nouveau rapport au savoir et aux relations sociales en général.

    Confronté à un monde où tout est relativisable et où lui-même se cherche, l’adolescent paraît véritablement éprouver cette « insoutenable légèreté de l’être » qu’évoquait le romancier Milan  Kundera. Que pèse-t-il, en effet, dans cette sorte de tourmente dans laquelle il se trouve pris ? Cette arbitrarité, cette absence sur laquelle il fonde dorénavant son être lui ouvrent incontestablement des horizons nouveaux, mais elles sont en même temps facteurs d’inquiétude. Ce qui lui permet de se situer de manière tout à fait originale dans le monde qui l’entoure et dans ses relations avec autrui est en même temps, de manière paradoxale, ce qui peut le conduire à ne plus du tout s’y retrouver. La relativité qu’il découvre et avec laquelle il doit dorénavant faire lui ôte tout point fixe auquel se raccrocher de manière certaine. S’il en vient à se questionner sur ce qui soutient l’univers qui l’environne, s’il ne peut plus se fonder pour lui-même sur les repères qui lui assuraient jusque-là une assise, il ne lui reste plus qu’une seule perspective : faire retour sur lui-même ! Bien évidemment, l’adolescent ne raisonne pas explicitement de la sorte ; il est loin de prendre une conscience claire des processus qui l’agitent. Pourtant, c’est ce qu’il va venir éprouver : il n’est plus pour lui qu’un seul point de repère dans ce monde instable et ce point de repère, c’est finalement lui. Il devient la source du monde, au sens où ce n’est plus qu’à partir de lui que les choses peuvent prendre une forme de consistance.

    Installé dans sa différence, travaillé par sa singularité, rompant avec toute forme de tutelle sur le mode de son expérience enfantine, l’adolescent se fait point d’origine du monde. Naissant au social, par rupture, il en devient du coup l’ordonnateur, en même temps qu’il s’y ordonne ; il devient non seulement acteur du social, mais auteur du social, même s’il ne peut se revendiquer, nous y reviendrons, que comme co-auteur. Il descend d’abord ses parents du piédestal sur lequel, enfant, il les avait installés. À présent, c’est lui qui sait ; il ne va plus aller chercher chez eux la réponse à ses questions. C’est presque un « Ni Dieu, ni maître » qu’il lance désormais. Il s’essaie d’ailleurs dans la recherche d’une signature. « Je n’ai pas choisi de naître », vient-il à l’occasion opposer à ses parents. Parfois, il va même jusqu’à risquer un « Je n’ai pas choisi mes parents ». Il leur affirme, en somme, qu’il ne leur doit rien. L’adolescent marque en même temps sa singularité de toutes les manières possibles, notamment celles qui vont le faire se distinguer et qui concernent donc son apparence. Cela touchera particulièrement sa coiffure, sa façon de s’habiller ; s’y ajoutent aujourd’hui les modifications et ornementations du corps. À cet égard, on ne saurait trop insister sur la créativité d’une génération par rapport à celles qui le précèdent : elle concerne évidemment la coiffure et le vêtement, toujours susceptibles de connaître de nouvelles transformations (tel le port très bas du pantalon), mais elle s’empare aussi, de nos jours, du corps sous des formes qu’on ne pouvait même pas imaginer quelques décennies auparavant (le piercing ou les scarifications paraissant réservés à des populations « primitives »). On peut sans risque parier que les générations à venir inventeront d’autres manières de se singulariser auxquelles nous sommes même incapables de penser.

    Bien évidemment, la société n’a pas attendu que l’adolescent arrive pour fonctionner ; elle est déjà là lorsqu’il naît et elle le saisit même d’emblée, en tant qu’enfant d’abord, à travers ceux qui l’éduquent, puis en tant qu’adolescent et ensuite en tant qu’adulte, nanti des titres qui y assurent, du moins dans le principe, une pleine place. Il n’en demeure pas moins qu’au-delà de la période de l’enfance durant laquelle il s’inscrit dans la société par procuration, « porté » qu’il est par ses parents et par ceux auxquels ils délèguent leur responsabilité d’éducateurs, ce n’est qu’à partir de lui que le monde social va prendre forme et sens. C’est lui, l’adolescent, qui va introduire de la cohérence dans le monde en se faisant le point zéro à partir duquel tout peut dorénavant se mesurer. Certes, toute société présente une forme nécessaire de cohérence et vise en même temps une cohésion de ses membres, même si elle n’y parvient jamais tout à fait, certains demeurant, durablement ou pas, à l’écart de ses lois et de ses usages. Mais le social, nous l’avons suffisamment souligné, n’est pas simple affaire d’introjection de la loi et de conformité à des usages ; il ne suffit pas à s’imposer par lui-même dans son homogénéité. L’initiation, par exemple, permet d’introniser de nouveaux membres à une société donnée ; ce faisant, celle-ci leur offre une forme de reconnaissance qui est importante et nécessaire. Toutefois, la société ne fait en l’occurrence que prendre en compte un processus qui opère en chacun de ceux qui sont initiés. Ce processus, nous l’avons donc résumé en évoquant la sortie de l’enfance. 

    Il ne peut donc suffire qu’une société décrète la fin de l’enfance pour qu’elle soit effective. C’est là, précisément, le problème contemporain auquel se trouvent confrontés ceux qui veulent faire de l’enfant un individu au même titre qu’un autre et qui donc nient toute spécificité à l’enfance. L’enfant ne quittera pas son enfance au seul motif qu’il est à présent sommé de le faire et qu’il est mis dans de nouvelles conditions qui sont censées le lui permettre ou l’y contraindre. Encore faut-il qu’il en ait par lui-même la capacité. Encore faut-il qu’il ait émergé à la Personne. Nulle intervention extérieure ne la lui confèrera ; il faut qu’il en soit par lui-même au principe. Autre chose est la reconnaissance que sa société lui apportera à cette occasion. Cette reconnaissance est essentielle, nous l’avons dit, mais elle n’est pas déterminante au sens où ce n’est pas elle qui est au principe du processus qui s’enclenche chez celui qui sort de l’état d’enfance. Aussi bien doit-on conclure que c’est celui qui a émergé à la Personne qui crée en lui la possibilité même d’un fonctionnement social. Il devient capable de s’inscrire dans une société donnée, parce qu’il dispose du principe du social.

    Le fonctionnement social ne se réduit bien évidemment pas à cet aspect du problème. Il requiert cependant, comme condition première, qu’en chacun de ses membres, la capacité de faire du lien social soit présente. La pathologie des psychoses nous le prouve, par la négative, puisque c’est cette capacité qui fait problème chez ceux qui en sont affectés. Les psychoses constituent en quelque sorte une pathologie de l’altérité : loin d’être donc produit par la société, comme certains ont pu le croire naïvement, le processus psychotique répond à l’incapacité, jamais totale en l’occurrence, de créer en soi les conditions d’une rencontre avec autrui et d’un réel échange. Aussi bien, l’adolescent vient-il, à sa façon, confirmer le propos du philosophe Protagoras : il est, en tant qu’homme anthropologiquement complet, la mesure de toutes choses et plus précisément ici du monde social dans lequel il s’insère. Jean Gagnepain proposait de comprendre l’enjeu de cette ouverture au social chez tout homme, à partir donc, chez nous, de l’adolescence, à travers la formule suivante, au premier abord fort surprenante : « Chacun d’entre nous est le premier homme ». Il rejoignait ici l’inspiration d’un Jacques Lacan qui, contestant avec raison l’héritage évolutionniste qui a perduré chez Freud, resituait en chacun de nous l’opération consistant à tuer le père et y faisait jouer en fin de compte un principe d’origination. L’adolescent se place d’emblée à l’origine du monde et il est en même temps à l’origine de lui-même, aussi surprenant que cela paraisse. De cette origination du monde et de cette auto-fondation, sur laquelle ont seuls insisté jusqu’ici les psychanalystes, nous ne cessons de mesurer les effets dans le moindre de ses comportements.

    Les perspectives qui s’ouvrent à l’adolescent sont à première vue sans limite : le monde s’offre à lui et il est en mesure de le rebâtir. Tous les observateurs de l’adolescence ont souligné cette ambition étrange et démesurée qui envahit l’adolescent, même si elle ne se manifeste pas nécessairement par de grands éclats pour son entourage. Encore fallait-il l’expliquer en la rapportant à des processus précis et ne pas se contenter de la décrire. D’aucuns évoquent « l’exaltation ombrageuse de son moi », ses « préoccupations égocentriques de nature plus ou moins métaphysique », sa « mentalité égotiste », etc. L’adolescent, concluait joliment le psychologue Debesse, rêve « d’atteler son char à une étoile ». Aussi bien, cet adolescent se présente-t-il d’abord comme foncièrement égocentrique, ordonnant le monde à partir de lui-même. Le véritable égocentrisme ne peut être le fait de l’enfant, dans la mesure où il ne lui est pas possible de témoigner d’un « ego ». En fait, l’adolescent affirme avant tout ici sa singularité, l’émergence à la Personne étant d’abord une affaire de singularisation, bien que ne s’y réduisant pas. Les parents ne cessent de se heurter aux manifestations de cet égocentrisme. L’adolescent agit fréquemment comme si les autres ne comptaient plus dans la famille. Il rentre à l’heure qui lui convient, sans se soucier des heures de repas, par exemple. Il se sert dès lors dans le réfrigérateur quand bon lui semble, sans se demander si ce dont il s’empare n’était pas nécessaire à la confection du repas suivant pour l’ensemble de la famille. « Ici, c’est le self-service pour lui ! », « on est à son service », déplorent souvent les parents.

    Du même coup, l’adolescent réalise l’idéal individualiste que nombre de chercheurs attribuent de nos jours à l’homme contemporain. Cet individualisme peut en effet être saisi, pour l’essentiel, comme la revendication d’une singularité qui doit être reconnue par la société. Notre société puiserait en quelque sorte son idéal dans cette phase essentielle du procès de socialisation que met particulièrement en exergue l’adolescent qui, lui, la découvre. Au risque, patent chez certains, d’oublier que ce procès de socialisation ne peut se réduire à cette singularisation. Comment serait-il possible, en effet, de constituer encore une société si ne se manifestait plus que du particularisme ? Ajoutons que si l’individualisme implique, ainsi qu’on l’affirme, un retour conscient sur soi, donc une forme de « réflexivité », il ne peut se faire jour que dans certaines conditions sociales : si la société se révèle contraignante et fait prévaloir d’abord et avant tout l’intérêt du collectif, cette affirmation de la singularité de chacun ne pourra s’accomplir. Tel est le cas des sociétés pratiquant l’initiation. Dans la nôtre, qui fonctionne tout autrement, l’adolescence constitue en revanche une période, voulue par la communauté, particulièrement propice à une telle affirmation.

     Cette expression exacerbée de sa singularité n’est toutefois pas sans danger. Les auteurs travaillant la question de l’individualisme contemporain le rappellent : plus l’individu se trouve libéré de toute contrainte extérieure — et notamment de toute transcendance —, plus il est renvoyé à lui-même et sommé de réussir socialement, puisque, ayant la responsabilité pleine et entière de ce qu’il est, il ne peut plus s’en prendre à quelqu’un d’autre. Ainsi s’expliquerait, devant la difficulté à réaliser un tel programme, l’abus de médicaments psychotropes dans une société dont les membres déclarent massivement connaître des épisodes dépressifs. On comprend en tout cas, en ce qui concerne l’adolescence, qu’on ait pu abondamment parler de sa proximité avec les phénomènes pathologiques, aussi bien sur le versant névrotique que sur celui de la psychose ou de la perversion. Au demeurant, l’adolescence est la période à partir de laquelle se déclenchent les psychoses, telles qu’on les observe chez l’adulte. De là à affirmer qu’on est nécessairement entré, durant cette période, dans la pathologie, il n’y a qu’un pas qu’on ne saurait franchir aussi facilement. L’adolescent paraît la côtoyer, effectivement, d’autant plus qu’il ne s’est pas encore donné les nouveaux repères qui lui permettront d’asseoir sa personnalité. S’il s’en tenait à cette façon d’envisager le monde qui l’entoure, il est certain qu’on serait proche d’un fonctionnement pathologique. On comprend par ailleurs que la question du suicide se pose d’une manière particulièrement cruciale durant cette période : d’une part, il n’est de sui-cide véritable que s’il y a affirmation d’un « sui » et division possible d’avec soi-même, ce qui se produit donc à la sortie de l’enfance ; d’autre part, cette mort que l’adolescent institue en lui doit pouvoir trouver sa contrepartie à travers la mise en place de repères nouveaux qui confèrent un sens à cette forme de vie nouvelle. De ce point de vue encore, le rôle de l’entourage se révèle essentiel, notamment s’il n’apporte pas à l’adolescent de quoi se situer. À travers la tentative de suicide, l’adolescent montre, certes, qu’il ne parvient pas à s’y retrouver dans la vie qui est dorénavant la sienne (« elle n’a plus de sens »), mais il essaie de saisir également, de façon maladroite et peu lucide, s’il compte vraiment pour quelqu’un. 

    Que l’adolescent se vive comme point d’origine du monde n’est pas non plus sans l’ébranler. Il n’en est, certes, pas conscient, mais il le vit ainsi. Il ne lui est pas possible de définir son existence à partir d’une seule négativité, d’une mort à l’enfance : comment lui serait-il possible de se résoudre à être en n’étant pas ? Aussi bien, va-t-il falloir que l’adolescent se donne des modes de repérage et notamment, qu’il se confère une origine supposant un ancrage relativement solide, une provenance qui ne renvoie pas à la seule contingence de l’être. Si l’enfant n’est pas réellement travaillé par la question des origines (alors qu’il peut, par ailleurs, élaborer un fantasme de substitution de parent à la naissance. Freud évoque ici un « roman familial »), l’adolescent l’est de manière très forte. On sait que la question va se révéler encore plus prégnante chez ceux qui ont été adoptés : ils vont vouloir connaître, et éventuellement rencontrer, leurs « vrais » parents, en l’occurrence leurs géniteurs. Le recours se fait donc, chez eux, mais également chez l’adolescent qui n’est pas dans cette situation d’adoption légale, à un enracinement biologique et plus largement à la période de l’enfance. Car, durant son enfance, celui-là était quelque chose pour quelqu’un : il avait une identité positivable, en étant l’enfant de ses parents. C’est d’ailleurs de la même façon que l’expérience de la psychanalyse conduit très rapidement l’analysant à en appeler, quel que soit son âge, à la dimension de l’enfance en lui : alors que le dispositif de la cure l’amène à mettre en question les identifications sur lesquelles il s’est construit et à se demander qui il est en définitive, il lui reste cette solution de se raccrocher à une enfance durant laquelle il était bien quelqu’un pour ceux qui l’éduquaient.

    Les difficultés sont aujourd’hui nettement plus fréquentes chez les adolescents qui ont été adoptés et elles prennent souvent une forme inquiétante qui nécessite l’appel à des services psychiatriques. Il apparaît qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Aussi doit-on chercher à nouveau du côté du contexte social et des repères offerts à l’enfant et à l’adolescent adopté pour tenter de comprendre cette situation. La réduction des phénomènes humains au champ du biologique que connaissent nos sociétés conduit à s’imaginer qu’il n’y a d’explication envisageable, et donc de repérage possible pour l’homme, qu’à partir de ce registre de réalité. On est ainsi parvenu à un rabattement intégral du parent, qui constitue une réalité sociale, sur le géniteur, réalité physiologique. Le droit occidental conforte totalement et de manière aberrante cette réduction, de telle sorte que les demandes de recherches en paternité, c’est-à-dire en fait en génitalité, deviennent aujourd’hui extrêmement fréquentes. Celui qui a été adopté est directement touché par cette nouvelle façon d’envisager la question des origines. S’y ajoute le fait que les parents se doivent dorénavant de ne rien cacher à leurs enfants, contrairement à ce qu’il en était dans les périodes antérieures, et qu’ils sont donc amenés à livrer à leurs enfants une « vérité » qui peut se révéler pour ces derniers source d’insécurité, du fait des questions qu’elle soulève en eux. En réalité, les adolescents adoptés cherchent une réponse, non pas à la question biologique de leur naissance, mais à celle des circonstances historiques qui l’entourent. « Pourquoi ai-je été abandonné ? », « pour quelles raisons ma mère a-t-elle dû renoncer à m’élever ? ». Il y a donc malentendu sur les raisons qui poussent le jeune adopté à rechercher ses origines : seule lui importe son inscription dans une histoire et non son origine biologique.

    La recherche des origines constitue un besoin fondamental pour l’adolescent en général, dans la mesure où elle constitue l’exacte contrepartie de la problématique d’origination du monde et de soi-même à laquelle il s’est ouvert en quittant le monde, somme toute rassurant, de l’enfance. Si elle se comprend, cette recherche n’en est pas moins illusoire, car cette époque est à présent révolue ; il faudra que l’adolescent fasse avec la contingence qui dorénavant le travaille et qu’il assume sa singularité. Lui seul soutiendra en dernier lieu, comme tout homme inscrit dans le social, les positions qu’il prendra dans la vie ; il ne lui sera plus possible de se reposer entièrement sur un autre, comme c’est le cas de l’enfant. Il est anthropologiquement devenu auteur et responsable de ses actes et de sa condition, même s’il cherchera bien évidemment toujours des soutiens qui le conforteront à l’occasion dans ses orientations et s’il demeure, par ailleurs, d’un point de vue légal, sous la responsabilité d’un adulte jusque ses 18 ans. Il serait intéressant, dans le même ordre de raisonnement, de questionner la forme nouvelle que vient recouvrir, dans notre société, cette problématique de la recherche des origines ; on semble s’y accrocher, comme si elle offrait la solution aux problèmes existentiels que l’on éprouve. Elle emprunte d’abord la voie de la naturalisation — en l’occurrence de la biologisation — des phénomènes proprement humains évoquée ci-dessus. Elle viserait ensuite à essayer de s’assurer, à titre individuel (et non plus en référence à des mythes élaborés par la société), de sa provenance, comme si la singularisation, phénomène en fin de compte très insolite, devait trouver un fondement tangible dans les conditions singulières qui ont présidé à sa propre naissance. En somme, il ne serait possible d’être quelqu’un de particulier qu’à la condition de s’être inscrit dans l’histoire, tout aussi particulière, d’un autre et d’avoir été désiré par lui.

     

    3 – L’appropriation

     La recherche d’un point d’ancrage dans l’enfance ne constitue pas la seule façon de ne pas en demeurer à cette phase de singularisation qui a frappé tous les observateurs au point de faire parler, non sans raison, d’une « crise d’originalité juvénile » et de souligner la recherche fréquente d’excentricité de l’adolescent. C’est indéniablement l’aspect le plus important du processus de sortie de l’enfance, non seulement parce qu’on en saisit immédiatement les effets, en opposition à ce qui se donnait à voir tant qu’on avait affaire à un enfant, mais surtout parce qu’il s’agit là de ce qui véritablement enclenche l’ensemble du processus identitaire. Sans cette phase d’affirmation de sa différence et de sa singularité, rien ne peut faire entrer l’adolescent dans un nouveau rapport au social. Cette phase ne se suffit cependant pas à elle-même. Aussitôt que l’adolescent en vient à éprouver cette singularité en lui, il est amené à la remettre en question dans ses échanges avec autrui. Car il lui faut tenir compte du fait que l’autre, en face de lui, est finalement dans la même situation. L’altérité sur laquelle l’adolescent fonde à présent sa propre identité le conduit, avons-nous vu, à accorder ipso facto son altérité à celui avec lequel il entre dorénavant dans un tout autre type de rapport. L’arbitrarité dont il est au principe, il la rencontre également chez l’autre, ne serait-ce que dans la résistance que celui-ci lui oppose : si lui ne voit plus le monde comme celui auquel il s’adresse, l’inverse est également vrai. L’un ne va pas sans l’autre. Aussi notre adolescent est-il conduit à relativiser sa propre place.

     L’adolescent doit faire avec autrui et chercher malgré tout à s’accorder avec lui. Certes, ce n’est pas ce qui frappe d’abord dans ses relations avec ses parents et avec ceux qui, par délégation, ont pris leur suite. Il semble bien plus, à première vue du moins, s’opposer à eux que négocier avec eux. Cela se comprend : le besoin qu’il ressent d’affirmer sa différence va d’abord et avant tout se concrétiser par rapport à eux, dans la mesure où il s’est trouvé jusqu’à présent inscrit dans leur histoire. D’où l’impression, pour ceux qui vivent avec l’adolescent, d’une période qui serait uniquement, ou presque, faite d’opposition. Même avec ses proches, toutefois, l’adolescent va devoir négocier ; au demeurant, ils vont également s’en apercevoir, puisqu’il les y oblige littéralement. Il force ses parents à changer avec lui ; il va même les conduire à faire retour, inconsciemment, sur leur propre adolescence et sur la façon qu’ils ont eue de régler leurs problèmes avec leurs propres parents. Avec ses pairs, c’est plutôt l’inverse que l’on semble observer : l’adolescent va chercher essentiellement à conforter auprès d’eux sa nouvelle identité, jusqu’à sembler parfois se fondre dans le groupe auquel il adhère dorénavant. Autant il peut faire preuve de singularité auprès de ses parents et de la société en général, autant il se montre en apparence d’une conformité étonnante dans le rapport aux copains. Il semble faire preuve là d’un suivisme, en totale opposition avec l’attitude qu’il peut avoir par ailleurs. Il s’agit en effet pour lui de se classer socialement, vis-à-vis de ceux qui ne sont pas de son groupe d’appartenance, et avec ceux avec lesquels il entretient à présent des rapports d’égal à égal. Il adopte les usages et les codes en vigueur dans ce groupe de pairs dans la mesure où il en participe, c’est-à-dire où il œuvre également à son fonctionnement. Il s’habillera comme les copains, il aura les mêmes gouts musicaux qu’eux, il jouera aux mêmes jeux vidéos, etc. L’adolescent témoigne donc d’emblée de ce fonctionnement paradoxal qui voit l’homme, dans le moindre de ses échanges, à la fois se différencier et tenter de s’accorder avec autrui, en effaçant précisément toute différence. Un tel processus doit par conséquent être saisi à travers un mouvement contradictoire, ou « dialectique », entre une phase de singularisation et une autre d’universalisation. Il s’agit bien de phases, donc de moments synchrones et non successifs.

     Ainsi, aussi excentrique qu’il se voudra dans ses attitudes et dans ses usages, l’adolescent en viendra toujours à rejoindre d’autres que lui, qui adoptent ces mêmes manières d’être et de se situer. S’il choisit de se coiffer avec une crête à iroquoise et qu’il demeure dans une petite commune, il est certain qu’il n’échappera pas aux regards et qu’il sera parvenu à marquer les esprits. Dès lors, il ne pourra effectivement être confondu avec personne d’autre. Il sera parvenu à exprimer de la manière la plus voyante sa singularité, puisqu’il est le seul dans sa commune à adopter cette manière de se coiffer. Il en sera de même s’il devient adepte de la culture gothique : son esthétique vestimentaire très particulière, portée très fortement sur le noir, assortie d’un maquillage provocateur, ne peuvent laisser indifférents ceux qu’il croise sur sa route. Toutefois, notre adolescent trouvera toujours d’autres jeunes qui adopteront les mêmes usages et, dans une ville de plus grande importance, il ne pourra plus être seul dans son cas. Lorsqu’il est avec ces autres jeunes, il se fond dans le groupe et il renonce, du point de vue de la parure en tout cas, à sa différence et donc à sa singularité. Il tend en l’occurrence avec eux à une forme d’universalité, c’est-à-dire d’effacement de toute différence au profit d’une façon d’être-type. Et ce qui vaut dans le domaine de l’apparence vestimentaire ou des divers ornements vaut de la même façon dans tous les registres de la condition de l’adolescent.

    Ces phases de singularisation et d’universalisation n’existent en fin de compte que dans leur opposition dialectique, sauf pathologie : dans le cas de la psychose, on observe une sorte de figement de ce mouvement à travers une affirmation tellement exclusive de la singularité que tout échange avec autrui devient impossible, ou, à l’inverse, à travers une incapacité à affirmer la moindre singularité au point de se fondre totalement dans le rapport à autrui. On évoque alors un processus schizophrénique ou, à l’opposé, paranoïaque. Il n’est ordinairement d’affirmation de soi qu’aussitôt remise en question dans une rencontre avec autrui et, inversement, d’accord avec autrui que dans la mesure où sa propre différence se trouve au préalable posée. La recherche d’un consensus, toujours susceptible d’être remis en cause, ne peut se faire que si les protagonistes de l’échange ont en premier lieu affirmé leur différence. L’adolescent est pleinement entré dans ce processus dialectique qui caractérise le fonctionnement de la Personne. Cependant, étant en quelque sorte en phase de rodage, il laisse plus facilement voir les difficultés que soulève la mise en œuvre d’un tel processus. D’autant que certains champs d’investissement de sa nouvelle capacité de socialité lui sont interdits du fait même de son statut d’adolescent. Il lui sera d’autant plus facile, dès lors, de la mettre en œuvre avec ses pairs. Une telle période de rodage, de mise au point non pas du fonctionnement lui-même, mais de ce qu’il autorise, caractérise pour le reste ce qu’on appelle précisément la « jeunesse ». L’âge dit « mûr » présente par opposition une forme de stabilisation, du moins en apparence. Elle concerne les repères que l’adulte s’est donnés et non le fonctionnement dialectique lui-même, lequel demeure toujours identique en son principe.

    On comprend dès lors que l’adolescent qui s’est ouvert à cette dialectique se soit en même temps introduit à la socialité. Aussi bien, se trouve-t-il aussitôt happé par l’ensemble des rencontres qu’il va faire, pour autant qu’elles aient par ailleurs une certaine importance pour lui. Il va sans cesse emprunter à d’autres pour se construire dans sa personnalité, aux copains d’abord, mais également à tous les adultes qu’il va reconnaître et qui vaudront donc comme modèles pour lui. Cela opère dans tous les domaines de la vie sociale et psychique. Comme n’importe quel homme sur la terre, l’adolescent est fait de toutes ces rencontres et n’a, de ce point de vue, plus rien d’un « individu » qui viendrait s’opposer à un « collectif » qui le contiendrait de l’extérieur. Le social est en lui, du fait même qu’il s’y ouvre à partir de la Personne et il se révèle, si l’on peut, multiple, dans la mesure où il est le produit d’une foule d’identifications, comme nous le rappellent les psychanalystes (ces identifications ne valant par ailleurs pas que durant l’enfance). La Personne est « faisceau de relations », aimait à rappeler Jean Gagnepain : l’adolescent ne cesse de témoigner qu’il est habité par les relations dans lesquels il entre, en même temps qu’il montre d’abord et avant tout sa différence.

    Pour le dire autrement encore, l’adolescent est entré dans l’histoire ; plus exactement, il s’est engagé dans un processus d’historicisation. Enfant, il était déjà dans l’histoire ; il n’était pas qu’un petit d’homme, soumis à un processus physiologique de croissance. Il demeurait toutefois dans l’histoire de ceux qui, éducativement, le portaient ; de cette histoire, il ne pouvait se dégager. Emergeant à la Personne, il en sort et enclenche le processus qui le voit assumer, de manière implicite, sa propre histoire : tout en restant le même (ce que lui permet dorénavant sa singularisation), il ne cesse de changer et donc de devenir un autre (en empruntant à tous ceux avec lesquels il entre en relation). L’historicité suppose ce jeu contradictoire entre, d’une part, une forme de permanence qui permet de retrouver de l’identique en soi et du même coup dans le monde, quels que soient la période, le lieu et le milieu dans lesquels on s’insère et, d’autre part, une incessante modification de soi-même et de ses conditions d’existence. L’adolescent acquiert, en sortant de l’état d’enfance, un point de vue sur le monde, c’est-à-dire une perspective, à partir de laquelle les choses s’ordonnent, prennent socio-historiquement sens et, par là, deviennent cohérentes. Cette mise en perspective permet, d’abord, de sortir de l’ici et maintenant auquel l’enfant se trouve confiné, ensuite, d’analyser le temps, mais également l’espace et le milieu social. Produire une analyse du temps, de l’espace et du milieu, revient à les faire se déployer par rapport à soi et non par rapport à un ordre naturel auquel il faudrait se soumettre. L’adolescence est ainsi l’époque où l’on devient capable de faire un récit de sa vie : le journal intime, que l’enfance ne connaît pas, témoigne par exemple d’un nouveau rapport à ces diverses coordonnées, en même temps bien sûr qu’à soi-même. S’il a pu être imposé aux jeunes filles par leurs mères à une certaine époque et s’il est loin d’être utilisé par tous, il n’en traduit pas moins une nécessité pour l’adolescent de se raconter et de signer son ouverture au monde.

    Par conséquent, si l’adolescent se trouve d’emblée plongé dans le social, il ne s’y dissout pas non plus. Il s’en abstrait, nous y avons suffisamment insisté, tout en y étant présent et il s’approprie ce qui s’offre à lui, y compris en ce qui concerne ses façons d’être. Ce dont il se pare, il s’en empare, pourrait-on dire. Du même coup se trouve résolue ici une question qui donne régulièrement lieu à controverses, mais qui prend dans notre société actuelle une portée particulière : l’adolescent est nécessairement dans l’héritage de ce qui lui a été transmis ; il vient effectivement de quelque part et a connu une forme particulière d’éducation. Il y a bien là transmission, mais précisément pas répétition, puisque l’adolescent commence par transformer, en se l’appropriant, ce dont il hérite. Cela vaut pour son enfance : les repères identificatoires qui lui ont été proposés vont être soumis à analyse et ils vont nécessairement prendre un sens nouveau, en fonction de ce qu’il va en faire. Cette démarche d’appropriation des repères de sa propre enfance vaudra au demeurant toute la vie. Cette transformation opère également pour tout ce dont il va dorénavant se saisir : il l’altère nécessairement en le faisant sien. Il est vrai que tout ne sera pas approprié, aussi bien de son enfance que de ce qu’il rencontre dans sa nouvelle vie, mais il est inutile de craindre que l’adolescent soit façonné par une « tradition » stricte, qui le conduirait à simplement répéter servilement. Certes, selon le type de société et l’époque, il sera plus ou moins contraint d’adopter des modes d’être, mais toute jeunesse rompt, à sa façon, avec ce dont elle hérite de la génération précédente.

    Un des domaines dans lesquels se remarquent cette appropriation et cette altération à laquelle se livre l’adolescent en émergeant à la personne est celui du langage, et plus particulièrement de la langue. Tous les mots et les expressions qu’il utilise, il les tient d’autres personnes auxquelles il les a empruntés. Autrement dit, tout lui vient de locuteurs avec lesquels il est entré en relation ; rien ne surgit chez lui ex nihilo. En même temps, il procède à une appropriation qui va nécessairement se remarquer et qui ne concerne pas que les banlieues difficiles. L’adolescent « déforme » en effet ce dont il s’empare et paraît s’engager dans une démarche de transformation de sa langue maternelle qui n’est pas sans inquiéter son entourage, mais également le corps social. Régulièrement, la génération des adultes confirmés s’alarme des suites possibles, pour l’avenir de la langue en vigueur, des mutilations auxquelles l’adolescent la soumet. On trouve trace à de nombreuses époques d’une telle crainte. La génération nouvelle vient à chaque fois pratiquer une forme de verlan qui n’est pas sans surprendre. Quand, en plus, usant des derniers moyens techniques de communication, la jeunesse en vient à opérer des réductions et des déformations impressionnantes dans la façon d’écrire et donc dans l’orthographe, l’inquiétude est à son comble ! Pourtant, la langue s’en remet toujours et à toute époque. Il est également frappant de voir comment les tournures qui valent à une époque ne sont plus de mise à une autre et même à quel point un jeune de 20 ans se trouve de ce point de vue rapidement déphasé par rapport à l’adolescent de 15 ans.

    Cette appropriation opère bien évidemment aussi au niveau des pulsions qui agitent l’adolescent. Les psychanalystes ont incontestablement raison de souligner l’importance de ce registre dans la problématique adolescente. L’apparition de la génitalité bouleverse l’économie libidinale et  c’est à un véritable remaniement pulsionnel que l’adolescent se trouve livré. La rencontre de l’autre à laquelle ces nouvelles pulsions s’ordonnent suscite de nouveaux désirs et de nouveaux fantasmes. Ce n’est toutefois pas la problématique du désir en tant que telle qui se trouve modifiée. L’adolescent doit faire avec le refoulement, ou la restriction implicite de ses pulsions, au même titre que l’enfant qu’il était, même si la poussée est plus forte. Le problème auquel il se confronte est d’abord et avant tout celui de sa subjectivation, pour reprendre le terme des psychanalystes : l’entrée dans la période d’adolescence fait seuil et oblige à une mise en perspective de ces pulsions dans le cadre d’une nouvelle forme de relation à autrui. C’est ici que certains évoquent la nécessité de faire appel à une « anthropologie de l’incomplétude ». La fameuse anorexie, que l’on évoque régulièrement à propos du passage adolescent, est de ce point de vue exemplaire : alors que la problématique spécifique qu’elle soulève est la plupart du temps celle du désir, la période de l’adolescence lui confère une tout autre portée que celle qu’elle a par exemple chez le jeune enfant, dans la mesure où elle vient s’articuler à la question de la singularisation et notamment de la nécessité de la séparation d’avec l’univers parental. Elle prend une ampleur particulière dans la mesure où à travers elle se joue la mise à l’épreuve de la relation au parent. On sait qu’elle met aussi en jeu la dimension de la mort.

    On ne s’étonnera pas du coup de l’absence de place accordée dans ce travail à la problématique du corps dans l’adolescence. Ordinairement, c’est à elle que l’on pense immédiatement lorsqu’on évoque l’adolescence. D’abord parce que les transformations physiques liées à la puberté se voient, ensuite parce qu’il est bien plus facile de penser l’adolescence à travers cette réduction aux phénomènes pubertaires que de tenter de comprendre les enjeux profonds de l’adolescence. Ce n’est pas le corps en tant que tel qui se trouve ici concerné, mais l’assomption des transformations qui le concernent, au même titre que de toutes les transformations qu’éprouve l’adolescent. On ne peut s’en tenir à la notion triviale du corps dont on se contente ordinairement. Elle le réduit à l’organisme physiologique et méconnaît que le corps de l’homme est un corps d’emblée « symbolique », marqué aussi bien par le psychique que par le social. Ce corps, dont beaucoup s’imaginent qu’il est totalement individuel, se trouve soumis aux mêmes processus que ceux que nous avons dégagés et il donne notamment lieu, constamment, à mise en scène et à négociation. Il oblige, en d’autres termes, à faire constamment avec autrui et avec la société.

     

    Conclusion

     

    Le phénomène de l’adolescence constitue incontestablement une réalité sociale, c’est-à-dire relative ; cette affirmation se trouve aujourd’hui étayée par une argumentation solide et cohérente. Cependant, si l’adolescence ne s’observe pas dans toutes les sociétés et ne peut donc être saisie comme universelle, la problématique à laquelle elle renvoie, et que nous avons appréhendée à travers la nécessité anthropologique d’une mort à l’enfance, se révèle, elle, générale. L’adolescence ne constitue jamais que la forme historique qu’a empruntée cette problématique dans une société donnée. Plus exactement, elle n’est qu’une des figures à travers lesquelles les sociétés ont pris en compte et résolu cette question d’un seuil qui les retient toutes. Là où la plupart d’entre elles, jusqu’ici, ont choisi de marquer ce seuil à travers des rites initiatiques, les sociétés occidentales ont depuis peu pris le parti de l’éclater dans le temps et donc de le dissoudre lentement, au prix d’une disparition apparente de tout mode de repérage. Or, le marquage social est essentiel, sur ce point comme en ce qui concerne toute autre réalité sociale : il est le critère matérialisable du franchissement d’une limite dont on dit alors communément qu’elle a une valeur symbolique. Sans marquage social, il devient difficile de se situer et de s’orienter. Tel est le risque que prennent nos sociétés occidentales avec l’instauration de l’adolescence : l’adolescent reste très longtemps aux marges du social, la question étant ensuite de savoir ce qu’il en est des critères qui signent, à l’issue de ce moratoire, son agrégation à la société. Ces critères sont sociaux et varient donc historiquement ; ils peuvent se révéler plus ou moins précis et déchiffrables. On ne s’étonnera dès lors pas de l’indétermination qui accompagne, à notre époque, la distinction de l’adolescence et de la jeunesse.

    L’adolescent, ayant émergé au social, est pourtant devenu capable, dans le principe, d’autonomie et de responsabilité, contrairement à l’enfant qui ne dispose pas encore de ces capacités et qui doit donc être totalement pris en charge par l’adulte. Il lui est dès lors possible de se classer socialement, par lui-même, dans un monde de pairs, mais également de contribuer à la marche de la société en entrant dans des relations de services réciproques. Le statut qui est le sien, qui se soutient d’une infantilisation de la part de sa société, fait qu’il ne lui est guère possible de mettre en œuvre ces capacités dont il peut pourtant, dorénavant, faire preuve. Demeurant sous tutelle, il est simplement censé accumuler les conditions à partir desquelles il lui sera possible un jour de les faire fonctionner de manière favorable. L’adolescent va néanmoins pouvoir exercer ces capacités dans le groupe de pairs (les fameux copains) qui échappe pour l’essentiel au contrôle parental et aux injonctions de la société. Il lui sera plus difficile, sauf à nouveau dans le groupe de copains, de mettre en œuvre sa capacité de responsabilité. On le voit cependant se mobiliser pour des causes plus ou moins grandes et témoigner à cette occasion d’une générosité qui prouve son ouverture à autrui. Encore faut-il que la société ne vienne pas secréter en lui plus d’inquiétude que d’espoir. Or, il semblerait que la fameuse insouciance dont on accusait l’adolescent ne soit plus guère de mise aujourd’hui. Notre société paraît lui offrir de moins en moins de perspectives de sortie de ce statut de dépendance. Elle semble même le maintenir dans un retrait de plus en plus important de la réalité sociale à laquelle il lui faudra pourtant un jour s’agréger… 

     

     

    Bibliographie

     

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    Le Bot J.-M. (2002), Aux fondements du lien social. Introduction à une sociologie de la personne, Paris, L'Harmattan.

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    Rassial J.-J. (1996), Le passage adolescent, Toulouse, Érès, rééd. 2010.

    Thiercé A. (1999), Histoire de l’adolescence (1850-1914), Paris, Belin.

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    Texte de couverture (900 signes)

     

    L’adolescence semble être aujourd’hui une réalité évidente. Les médias, les parents, mais aussi les professionnels ne cessent pourtant d’en débattre. Et la littérature abonde sur les difficultés de l’adolescent. Qu’en est-il donc de son statut ? Quel rapport l’adolescence entretient-elle avec la puberté ? S’agit-il d’une phase naturelle du développement, comme l’ont soutenu les psychologues ?

    Cet ouvrage rappelle que l’adolescence constitue d’abord une réalité sociale, correspondant à un montage opéré par les sociétés occidentales. Elle n’est toutefois que la forme que vient prendre dans ces sociétés une problématique d’ordre général qui est la sortie de l’enfance. Dès lors, ce sont les processus que celle-ci recouvre qui doivent être interrogés. Leur mise en évidence permet d’être mieux armé pour faire face aux questions que l’adolescence provoque de nos jours dans nos sociétés.

     

     

    Nombre de caractères : 105 859

     

     

    Argumentaire (2000 signes)

     

    L’adolescence, qui peut paraître de nos jours une réalité évidente, soulève en fait bien des questions. Les médias y reviennent régulièrement, mais les parents et les professionnels s’interrogent tout autant à son propos. La littérature abonde sur les difficultés de l’adolescent. Peu de travaux s’intéressent toutefois à la question de son réel statut. Qu’en est-il en fin de compte de l’adolescence ? Elle n’est pas à confondre avec la puberté, même si celle-ci la conditionne physiologiquement. Doit-elle être comprise comme une phase naturelle du développement de l’homme, comme l’ont soutenu les psychologues psychogénéticiens ? Tout dément une telle approche de la question qui a pourtant longtemps prévalu au XXè siècle.

    De quel point de vue l’adolescence existe-t-elle, en dehors du fait que le terme s’est peu à peu imposé dans nos sociétés depuis plus d’un siècle et demi ? Étudiée à travers plusieurs disciplines, l’adolescence constitue d’abord une réalité sociale ou, comme l’énoncent les sociologues, une « construction sociale ». Elle correspond, en d’autres termes, à un montage opéré par les sociétés occidentales à un moment donné de leur histoire. Elle n’a donc pas toujours existé et elle n’est pas observable dans toutes les sociétés.

    L’adolescence n’est en fait que la forme de réponse apportée par nos sociétés à une question qui concerne toute communauté et qui est donc générale, celle de la sortie de l’enfance. Les sociétés qui pratiquent l’initiation insistent sur le fait qu’il faut « mourir à l’enfance » pour émerger au social. Mais les psychanalystes évoquent de même la nécessité d’un « meurtre de l’enfant » en nous. Le conflit interne à la personne qui s’ensuit ouvre à des processus qui définissent ce que l’on peut appeler « l’émergence à la personne ». Ce sont ces processus qui se trouvent ici interrogés. Leur explicitation fonde un recul qui permet d’être mieux armé pour faire face aux questions que l’adolescence provoque aujourd’hui dans nos sociétés.

     

     

     

    L’auteur (2000 signes)

     

     

    Jean-Claude Quentel est psychologue clinicien et professeur de sciences du langage à l’Université européenne de Bretagne - Rennes 2. Il dirige le LIRL (Laboratoire Interdisciplinaire de Recherches sur le Langage) et est co-responsable du LAS (Laboratoire d’Anthropologie et de Sociologie – EA 2241). Il a écrit de nombreux articles et produit plusieurs ouvrages, dont L’enfant. Problèmes de genèse et d’histoire, De Boeck, 1997, et Les fondements des sciences humaines, Erès, 2007.

     


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